mercredi 23 janvier 2019

La représentation artistique de l'idée chez Dostoïevski



 L'image, dans un texte quelqu’il soit, peut en être tout à fait absente, car c’est surtout  celle qui se créer au fil de la lecture qui va permettre aux récepteurs de se l'approprier, plus ou moins directement, plus ou moins aisément. La clarté d'expression, la précision et la force d'évocation de l'auteur y sont évidemment pour beaucoup.


Mais comment s'y prend réellement un auteur pour « faire voir » son texte à ses lecteurs, incarner ses très nombreux personnages quand il est souvent noté par les nombreux commentateurs de l’œuvre qu'il est, a posteriori, pratiquement impossible d'en reconstituer avec précision. Le fil de l'intrigue est soumis à un presque barbare enchevêtrement de rebondissements, à de détours improbables qui sont autant d'occasions pour l'auteur de faire surgir des figures mémorables – mais qui n'occupent qu'une place résiduelle dans l'économie du récit - , à une succession de scènes puissantes qui donnent à lire un pathos relayé par tous les protagonistes et où les dialogues abordent des thèmes lourds, obsédants et au sujet desquels chacun à son mot à dire.
Le flou des images produites est encore renforcé par la quasi-absence des descriptions physiques.
Et pourtant, l'auteur en question est un grand producteur d'images mentales durables, et souvent inoubliables pour le lecteur qui accepte d'être ainsi maltraité. Mais comment fait-il ?
Celui qui nous met sur la bonne piste est Zweig : « chez Dostoïevski nous voyons parce que nous entendons […] dans les effluves du mot, dans la fumée de hachisch de la parole, l'individu prends corps peu à peu […] Dès que ses personnages parlent, notre imagination les voit, leurs discours nous hypnotisent et nous transforme nous aussi en visionnaires. » (Trois maîtres. Balzac, Dickens, Dostoïevski. 1951).
Pour creuser cette piste, il nous faut maintenant aller chercher du côté de Bakhtine et de sa Poétique de Dostoïevski (1929, et 1970 pour la remarquable traduction française d'Isabelle Kolitcheff qui suit). En effet, de quoi sont faits « les effluves », « la fumée » qui pourtant forment mots et finissent par faire images ?

Selon Bakhtine, Maître Fédor s'est attelé à forger « la représentation artistique de l'idée » :
« L'idée, telle que la voyait le peintre Dostoïevski, n'est pas une formation subjective individuelle et psychologique, avec une « résidence fixe » dans la tête de l'homme ; elle est interindividuelle et intersubjective ; elle « est » non pas dans la conscience individuelle, mais dans la communication dialogique entre les consciences. L'idée est un événement vivant qui se déroule au point de rencontre dialogique entre deux ou plusieurs rencontres. Prise ainsi ; elle est semblable au mot avec lequel elle forme une unité dialectique. Comme le mot, elle demande à être entendue et comprise par d'autres voix, à recevoir des répliques sous différents angles. Comme le mot, l'idée est dialogique par nature, le monologue n'étant qu'une forme d'expression compositionnelle et conventionnelle, engendrée par le monologisme idéologique (les personnages n'exprime seulement que les idées de l'auteur).
Or Dostoïevski voyait et peignait l'idée précisément comme un événement vivant, se déroulant entre plusieurs voix-consciences. C'est cette découverte artistique de la nature dialogique de l'idée, de la conscience, et de tout ce qui dans la vie humaine est éclairé par la conscience qui fit de lui un grand peintre de l'idée.
Dostoïevski n'exprime jamais sous une forme monologique des idées toutes faites, mais ne décrit pas davantage leur devenir psychologique dans une seule conscience individuelle, car, dans l'un comme dans l'autre cas, les idées cesseraient d'être des images vivantes (c'est nous qui soulignons).
Rappelons par exemple le premier monologue intérieur de Raskolnikov […] Il n'y a là aucun devenir devenir psychologique de l'idée dans une seule conscience fermée. Au contraire, la conscience solitaire de Raskolnikov devient une arène où s'affrontent les voix d'autrui ; les événements des jours écoulés (la lettre à sa mère, la rencontre avec Marmeladov) imprègne fortement son âme, et prennent la forme d'un dialogue tendu avec des interlocuteurs absents (sa sœur, sa mère, Sonia, etc.), et c'est dans ce dialogue qu'il tente de « résoudre sa pensée ».
Avant le début de l'action décrite par le roman, Raskolnikov avait publié dans un journal un article sur le fondement théorique de son idée. Dostoïevski ne représente nulle part cet article sous une forme monologique. Nous faisons connaissance pour la première fois avec son contenu, et, par conséquent, avec l'idée fondamentale de Raskolnikov, dans sa conversation angoissée avec Porphyre [….]. C'est Porphyre qui ouvre le feu en exposant l'article d'une manière volontairement exagérée et provocante. Son mot, intérieurement dialogisé, est sans cesse coupé par des questions à Raskolnikov et les répliques de celui-ci. Ensuite, c'est Raskolnikov qui formule lui-même son idée, alors que Porphyre l'interrompt par des questions et des remarques provocantes. Les paroles de Raskolnikov sont pénétrées d'une polémique intérieure avec le point de vue de Porphyre ou de ses semblables […]. En fin de compte, l'idée de Raskolnikov nous apparaît dans la zone interindividuelle où se combattent âprement plusieurs consciences, et, par ailleurs, le côté théorique de l'idée se combine étroitement avec les dernières positions prises dans la vie par les protagonistes du dialogue.
L'idée de Raskolnikov dévoile dans ce dialogue ses différentes facettes, nuances, possibilités, elle établit des relations diverses avec d'autres prises de position. En perdant son achèvement monologique, abstrait et théorique, suffisant à une seule conscience, l'idée acquiert une complexité contradictoire et une multiplicité d'aspects qui en font une idée-force, naissant, vivant, et agissant dans le grand dialogue de l'époque dostoïevskienne et répondant aux idées similaires des époques antérieures. C'est cela, l'image de l'idée.
[…] Rappelons également l'idée d'Ivan Karamazov, du « tout est permis » si l'âme n'est pas immortelle. Quelle vie dialogique intense mène cette idée au long du roman, quelles voix hétérogènes la reprennent, quels contacts dialogiques inattendus elle provoque !
À ces deux idées (celle de Raskolnikov et celle d'Ivan Karamazov) se mêlent les reflets d'autres idées, de même qu'en peinture une couleur perd sa pureté abstraite par la réflexion de tons environnants, mais en revanche acquiert une vie hautement artistique. »


mardi 22 janvier 2019

La révolution baudelairienne




Baudelaire nomothète

Extrait des Règles de l’art, P. Bourdieu, 1992.

(…) Dans la phase critique de la constitution d’un champ autonome revendiquant le droit de définir lui-même les principes de sa légitimité, les contributions à la mise en question des institutions littéraires et artistiques (dont le renversement de l’Académie de peinture et du Salon marquera le sommet) et à l’invention et à l’imposition d’un nouveau nomos sont venues des positions les plus diverses : d’abord de la jeunesse en surnombre du Quartier latin qui dénonce et sanctionne, notamment au théâtre, les compromissions avec le pouvoir ; du cénacle réaliste des Champfleury et Duranty, qui opposent leurs théories politico-littéraires à l’ »idéalisme » conformiste de l’art bourgeois ; enfin et surtout des tenants de l’art pour l’art. En effet, les Baudelaire, Flaubert, Banville, Huysmans, Villiers, Barbey ou Leconte de Lisle ont en commun, par-delà leurs différences, d’être engagés dans une œuvre qui se situe aux antipodes de la production asservie aux pouvoirs ou au marché et malgré leurs concessions discrètes aux séductions des salons ou même, avec Théophile Gautier, de l’Académie, ils sont les premiers à formuler clairement les canons de la nouvelle légitimité. Ce sont eux qui, faisant de la coupure avec les dominants les principes de l’existence de l’artiste en tant qu’artiste, l’instituent en règle de fonctionnement du champ en voie de constitution. Ainsi, Renan peut prophétiser : « Si la révolution se fait dans un sens absolutiste et jésuitique, nous réagirons vers l’intelligence et le libéralisme. Si elle se fait au profit du socialisme, nous réagirons dans le sens de la civilisation et de la culture intellectuelle qui souffrira évidemment d’abord de ce débordement… »
Si, dans cette entreprise collective, sans dessein explicitement assigné ni meneur expressément désigné, il fallait nommer une sorte de héros fondateur, un nomothète, et un acte initial de fondation, on ne pourrait évidemment penser qu’à Baudelaire et, entre autres transgressions créatrices, à sa candidature à l’Académie française, parfaitement sérieuse et parodique à la fois. Par une décision mûrement délibérée, jusque dans son intention outrageante (c’est le fauteuil de Lacordaire qu’il choisit de briguer), et vouée à apparaître tout aussi bizarre, voire scandaleuse, à ses amis du camp de la subversion qu’à ses ennemis du camp de la conversation, qui tiennent précisément l’Académie et devant lesquels il choisit de se présenter – il les visitera un à un –, Baudelaire défie tout l’ordre littéraire établi. Sa candidature est un véritable attentat symbolique, et beaucoup plus explosif que toutes les transgressions sans conséquences sociales que, à peu près un siècle plus tard, les milieux de la peinture appelleront des « actions » : il met en question, et au défi, les structures mentales, les catégories de perception et d’appréciation qui, étant ajustées aux structures sociales par une congruence si profonde qu’elles échappent aux prises de la critique de la plus radicale en apparence, sont au principe d’une soumission inconsciente et immédiate à l’ordre culturel, d’une adhésion viscérale qui se trahit par exemple dans l’ »ébahissemnt » d’un Flaubert, pourtant capable en tous de comprendre la provocation baudelairienne.

Flaubert écrit à Baudelaire qui lui avait demandé de recommander sa candidature auprès de Jules Sandeau : « J’ai tant de questions à vous faire et mon ébahissement a été si profond qu’un volume n’y suffirait pas ! » (26/01/1862). Et à Jules Sandeau , avec une ironie toute baudelairienne : « Le candidat m’engage à vous dire « ce que je pense de lui ». Vous devez connaître ses œuvres. Quant à moi, certainement, si j’étais de l’honorable assemblée, j’aimerais à le voir assis entre Villemain et Nisard ! Quel tableau ! » (26/01/1862).

En présentant sa candidature à une institution de consécration encore largement reconnue, Baudelaire, qui ignore moins que personne l’accueil qui sera fait, affirme le droit à la consécration que lui confère la reconnaissance dont il jouit dans le cercle étroit de l’avant-garde ; en contraignant cette instance à ses yeux discréditée à manifester au grand jour son incapacité de le reconnaître, il affirme aussi le droit, et même le devoir, qui incombe au détenteur de la nouvelle légitimité, de renverser la table des valeurs, obligeant ceux-là mêmes qui le reconnaissent, et que son acte déconcerte, à s’avouer qu’ils reconnaissent encore l’ordre ancien plus qu’ils ne le croient. Par son acte contraire au bon sens, insensé, il entreprend d’instituer l’anomie qui, paradoxalement, est le nomos de cet univers paradoxal que sera le champ littéraire parvenu à la pleine autonomie, à savoir la libre concurrence entre des créateurs-prophètes affirmant librement le nomos extra-ordinaire et singulier, sans précédent ni équivalent, qui les définit en propre. C’est bien ce qu’il dit à Flaubert dans sa lettre du 31 janvier 1862 : « Comment n’avez-vous pas deviné que Baudelaire, ça voulait dire : Auguste Barbier, Théophile Gautier, Banville, Flaubert, Leconte de Lisle, c'est-à-dire littérature pure ? »
Et l’ambiguïté de Baudelaire lui-même, qui, tout en affirmant jusqu’au bout le même refus obstiné de la vie « bourgeoise », reste malgré tout anxieux de reconnaissance sociale (n’a-t-il pas rêvé un moment de Légion d’honneur ou, comme il l’écrit à sa mère, de la direction d’un théâtre ?), fait voir toute la difficulté de la rupture que les révolutionnaires fondateurs (les mêmes balancements s’observent chez Manet) doivent opérer pour instaurer un ordre nouveau. De même que la transgression élective du novateur (on pense au Torero mort de Manet) peut apparaître comme maladresse de l’incompétence, de même l’échec délibéré de la provocation reste un échec, au moins aux yeux des Villemain ou même des Sainte-Beuve – qui conclut son article du Constitionnel consacré aux élections académiques par ces notations pleines de perfide condescendance : « Ce qui est certain, c’est que M. Baudelaire gagne à être vu, que là on où s’attendait à voir entrer un homme étrange, excentrique, on se trouve en présence d’un candidat poli, respectueux, exemplaire, d’un gentil garçon, fin de langage et tout à fait classique dans les formes. »
Il n’est sans doute pas facile, même pour le créateur lui-même dans l’intimité de son expérience, de discerner ce qui sépare l’artiste raté, bohème qui prolonge la révolte adolescente au-delà de la limite socialement assigné, de l’ »artiste maudit », victime provisoire de la réaction suscitée par la révolution symbolique qu’il opère. Aussi longtemps que le nouveau principe de légitimité, qui permet de voir dans la malédiction présente un signe de l’élection future, n’est pas reconnu de tous, aussi longtemps donc qu’un nouveau régime esthétique ne s’est pas instauré dans le champ, et, au-delà, dans le champ du pouvoir lui-même (le problème se posera dans les mêmes termes à Manet et aux « refusés » du Salon), l’artiste hérétique est voué à une extraordinaire incertitude, principe d’une terrible tension.
C’est sans doute parce qu’il a vécu, avec la lucidité des commencements, toutes les contradictions, éprouvées comme autant de double binds, qui sont inhérentes au champ littéraire en voie constitution, que personne n’a mieux que Baudelaire le lien entre les transformations de l’économie et de la société et les transformations de la vie artistique et littéraire qui placent les prétendants au statut d’écrivains ou d’artistes en face de l’alternative de la dégradation, avec la fameuse « vie de bohème », faite de misère matérielle et morale, de stérilité et de ressentiment, ou de la soumission tout aussi dégradante aux goûts des dominants, à travers le journalisme, le feuilleton ou le théâtre de boulevard. Critique forcené du goût bourgeois, il s’oppose avec la même vigueur à l’ «école bourgeoise » des « chevaliers du bon sens » menée par Emile Augier, et à l’ « école socialiste », qui acceptent l’une et l’autre le même mot d’ordre (moral) : « Moralisons ! Moralisons ! » (…)

(…) [Baudelaire] vit et décrit avec la dernière lucidité la contradiction que lui a fait découvrir un apprentissage de la vie littéraire accompli dans la souffrance et la révolte, au sein de la bohème des années 1840 : l’abaissement tragique du poète, l’exclusion et la malédiction qui le frappent lui sont imposés par la nécessité extérieure en même temps qu’ils s’imposent à lui, par une nécessité toute intérieure, comme la condition de l’accomplissement d’une œuvre. L’expérience et la conscience de cette contradiction font que, à la différence de Flaubert, il place toute son existence et toute son œuvre sous le signe du défi, de la rupture, et qu’il se sait et se veut à jamais irrécupérable.

Si Baudelaire occupe dans le champ une position assimilable à celle de Flaubert, il y apporte une dimension héroïque, fondée sans doute dans sa relation avec sa famille, qui le conduira, au moment de son procès, à une attitude très différente de celle de Flaubert, prêt à faire jouer l’honorabilité bourgeoise de sa lignée, et qui est responsable aussi d’une longue plongée dans la misère de la vie de bohème. Il faut citer la lettre qu’il écrit à sa mère, « exténué, de fatigue, d’ennui, d’ennui et de faim » : « Envoyez-moi [...] de quoi vivre une vingtaine de jours […]. Je crois si parfaitement à l’emploi du temps et à la puissance de ma volonté que je sais positivement que si je parvenais à mener, quinze ou vingt jours durant, une vie régulière, mon intelligence serait sauvée. » Alors que Flaubert sort du procès de Madame Bovary grandi par le scandale, élevé au rang des plus grands écrivains du temps, Baudelaire connaît, après le procès des Fleurs du Mal, le sort du homme « public », certes, mais stigmatisé, exclu de la bonne société et des salons que fréquente Flaubert et mis au ban de l’univers littéraire par la grande presse et les revues. En 1861, la seconde édition des Fleurs du mal est ignorée par la presse, donc par le grand public, mais impose son auteur dans les milieux littéraires, où il conserve de nombreux ennemis. Par la suite continue de défis qu’il lance aux bien-pensants, dans sa vie autant que dans son œuvre, Baudelaire incarne la position la plus extrême de l’avant-garde, celle de la révolte contre tous les pouvoirs et toutes les institutions, à commencer par les institutions littéraires.

Sans doute est-il amené à prendre peu à peu ses distances avec les complaisances réalistes ou humanitaires de la bohème, monde avachi et inculte, qui confond dans ses insultes les grands créateurs romantiques et les plagiaires trop honnêtes de la littérature embourgeoisée, et à lui opposer l’œuvre à faire dans la souffrance et le désespoir, comme Flaubert à Croisset.

(…) Mais il ne renie jamais ce qu’il a acquis à l’occasion de son passage par les régions les plus déshéritées du monde littéraire, donc les plus favorables à une perception critique et globale, désenchantée et complexe, traversée de contradictions et de paradoxes, de ce monde lui-même et de tout l’ordre social ; le dénuement et la misère, bien qu’ils menacent à tout moment son intégrité mentale, lui apparaissent comme le seul lieu possible de la liberté et le seul principe légitime d’une inspiration inséparable d’une insurrection.

Pierre Bourdieu.





           

lundi 7 janvier 2019

L'Etablissement



L’Etablissement


Au sein de l’Etablissement
Il y a des conseillers

Des conseillers dédiés aux entreprises
Des conseillers dédiés à l’indemnisation
Des conseillers dédiés à l’accompagnement des demandeurs d’emploi (DE)

Au sein de l’Etablissement
Il y a trois modalités d’accompagnement des demandeurs d’emploi
La modalité dite Guidée (portefeuille de 400 DE)
La modalité dite Renforcée (portefeuille de 70 DE)
La modalité dite Suivi (portefeuille de 1000 DE)

L’enjeu majeur pour un conseiller en charge de la modalité Suivi est de ne jamais rencontrer physiquement ses DE. Le Suivi se fait exclusivement par mail ou par entretien vidéo. Les DE ressortissants de la modalité Suivi sont considérée par l’Etablissement comme les plus autonomes. C’est la crème des DE.

Au sein de l’Etablissement
Les demandeurs d’emploi sont distribués en catégories qui dépendent de leur ancienneté d’inscription auprès de l’Etablissement.

Il y a les demandeurs d’emploi nouvellement inscrits
Il y a les demandeurs d’emploi de longue durée
Il y a les demandeurs d’emploi de très longue durée

C’est en fonction des besoins d’accompagnement des demandeurs d’emploi que
NON
C’est en fonction de la volonté de l’Etablissement
Qui ne fait que relayer la volonté du Gouvernement
Que se construit l’offre de services de l’Etablissement
C'est-à-dire les prestations offertes aux demandeurs d’emploi par l’Etablissement

En 2015, l’Etablissement a refondu la quelque dizaine de prestations proposée et qui était délégué à de petits organismes de formations locaux

L’Etablissement a donc pensé qu’il serait plus efficient de refondre l’ensemble des prestations
Des prestations qui avaient pourtant faits leurs preuves, rôdées, éprouvées
En seulement trois prestations

L’Etablissement a donc recouru à un système national d’appel d’offres, les petits organismes de formation locaux furent conviés, eux-aussi, à répondre.
Mais les petits organismes de formation n’ont pas eu les moyens de répondre aux exigences des prestations, dont certaines demandaient un exorbitant investissement numérique, notamment pour le suivi à distance.

C’est donc logiquement que l’Etablissement a retenu des énormes groupes, à l’origine aucunement spécialisés dans l’accompagnement vers l’emploi, mais qui avaient pu s’équiper conformément aux exigences de l’appel d’offres de l’Etablissement, pour des dizaines de millions d’euros.

Les salariés des petits organismes de formation qui dispensaient les anciennes prestations de l’Etablissement ont donc perdu leur emploi.

Dans le même laps de temps, l’Etablissement a acheté des MOOCS à une société privée. Le MOOC pour rédiger sa lettre de motivation. Le MOOC pour bien réussir son entretien d’embauche. Le MOOC pour bien faire valoir ses atouts auprès des employeurs. C’était la même société privée qui avait mené la campagne numérique de Ségolène Royal.

Tout cela rentrait dans le cadre de la campagne de l’offre numérique du Service public. Même si l’Etablissement n’est plus un Service public.
Ca a fait plaisir au Gouvernement.
Dans le cadre de cette modernité numérique volontariste, on comprend aisément que l’inscription auprès de l’Etablissement ne se fasse plus que par le biais du site internet de l’Etablissement.

Il en est de même pour l’indemnisation.
C’est le MADU (Moteur Automatisé du Dossier Unique du demandeur d’emploi) qui détecte les justificatifs (attestation employeur, bulletin de salaire) que les demandeurs d’emploi auront eux-mêmes scannés et déposés sur leur espace personnel.

Dans ce contexte, l’Etablissement invite plus que fortement ses conseillers indemnisation à devenir des conseillers emploi.
Car à terme, selon les vœux de l’Etablissement, les conseillers indemnisation vont inexorablement disparaître. En effet, ils sont remplacés par le MADU.

Le conseiller indemnisation ne sera amené à intervenir si et seulement si le MADU aura été défaillant en ne détectant pas les pièces déposées par les demandeurs d’emploi dans leur espace personnel.

Pourtant, l’Etablissement avait longtemps encouragé la double compétence (indemnisation ET accompagnement vers l’emploi) : il appelait ça la culture commune.

Mais l’Etablissement change de culture comme de chemise, au gré des vents gouvernementaux.

L’Etablissement ne veut plus entendre parler de curriculum vitae
L’Etablissement veut qu’on dise dorénavant : profil de compétences

Une compétence, c’est un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être, utilisé dans un contexte professionnel.

SAVOIR-ÊTRE

Selon les membres de l’Etablissement, c’est de ce côté que ça pèche chez les demandeurs d’emploi.
Ils ont du mal à SAVOIR-ÊTRE.
La preuve en est qu’entre conseillers, on ne se dit pas :
« Il y a Mme Durand ou Mr Martin qui voulait te voir au sujet de son entrée en formation et de sa rémunération-région »
Mais :
« Y a ta petite dame ou ton p’tit monsieur qui voulait te voir »

Les demandeurs d’emploi ne savent être
Qu’en petit.
Forcément… Ces salauds, ils bossent pas. Dans l’ethos d’un conseiller, la plus haute marque de moralité des femmes et des hommes ne se mesure qu’à l’emploi qu’il ou elle occupe.
Hors de l’emploi, point de salut !

Si un demandeur d’emploi ne se rend pas à une convocation envoyée par son conseiller, il se voit radié des listes et perd son allocation.
Le demandeur d’emploi se fait petit pour passer sous les crocs menaçants de la radiation car ça lui paraît énorme la radiation au demandeur d’emploi.
Pour un conseiller, c’est rien.
Il coche trois, quatre cases dans le logiciel de l’Etablissement et la radiation disparait.

Mais le conseiller le fait rarement car le logiciel sait tout des activités du conseiller et comme dans un tribunal, il y a de redoutable maîtres des requêtes informatiques au sein de l’Etablissement.
Il le fait rarement. Autrement, il ne serait pas conseiller.
C’est son tout petit pouvoir à lui au sein de l’Etablissement. Quand il s’en sert, il prend des airs de conspirateur et s’assure qu’il n’y a personne aux alentours.
On croit trop souvent que les conseillers ont du pouvoir.
Ils n’en n’ont aucun.
Et ça, on ne peut le savoir qu’en faisant partie de l’Etablissement.
Quand il veut prendre une initiative ou rencontre une difficulté
Il lui faut en référer au référent de la question
Lequel en réfèrera à son N+1
Lequel pourra faire intervenir le N+2
Lequel à son tour pourra, si c’est nécessaire, en référer au N+3

Et la somme de (N+1) + (N+2) + (N+3) + (N+4) etc. est égale à un grand sac de N

C’est en faisant partie de l’Etablissement que je suis moi-même devenu, insensiblement
UN SAC DE HAINE