vendredi 17 septembre 2021

C'est comme, atelier d'écriture de Laura Vasquez

 

C’est comme


"L'école est l'école de l'Etat, où l'on fait des jeunes gens les créatures de l'Etat, c'est-à-dire rien d'autre que des suppôts de l'Etat. Quand j'entrais dans l'école, j'entrais dans l'Etat, et comme l'Etat détruit les êtres, j'entrais dans l'établissement de destruction des êtres"

Thomas Bernhard, Maîtres anciens




Emmener l’enfant à l’école, c’est comme lui faire rencontrer l’Etat. Mais pas de face, toujours de biais. L’Etat ne se montre jamais tel quel, à l’état brut, à l’état dénudé. Au début, c’est comme rencontrer une entité sans forme, qui se planque derrière des masques et des costumes divers, toute fardée. Le masque avenant de l’instit, le masque avenant de la cour de récré. C’est comme arpenter une nouvelle aire de jeux, c’est comme rencontrer pleins de copines et de copains dont l’enfant te parlera souvent par la suite.

L’école, c’est une rencontre avec l’Etat au cours de laquelle, bien progressivement, l’enfant devenu élève, c'est-à-dire apprenant des catégories d’Etat, vient y apprendre du solide, qui lui restera toute sa vie dans le corps et dans l’esprit. 

Emmener l’enfant à l’école, c’est comme l’emmener, en lui faisant rencontrer l’Etat, à une vaste entreprise sans pitié de dressage du corps et de l’esprit. Voilà le but de la rencontre entre l’enfant et l’Etat.

La rencontre avec l’Etat, c’est d’abord passer un portail muni d’une caméra et gardé par un agent de l’Etat qui rapidement reconnaît l’enfant et les parents.

Sur le fronton de l’école, il y a la devise de l’Etat : Liberté, Egalité, Fraternité.

Non loin de la devise de l’Etat, pavoisent les armoiries de l’Etat : Bleu, Blanc, Rouge.

Non loin des armoiries de l’Etat, il y a celles des amis de l’Etat : le drapeau de l’Union Européenne. Mais sur ces armoiries-ci, ce sont surtout les amis économiques et militaires de l’Etat.

C’est comme pendant les fêtes de famille, il y a amis et amis. Et certains de ces amis, il n’y a pas que des amis. L’Union Européenne, et c’est comme dire une évidence, dedans il y a des ennemis. C’est comme toutes les rencontres que l’enfant va faire à l’école. Parce qu’à l’école, l’enfant va se faire des amis et des ennemis. C’est comme tout. C’est comme à la cantine, des fois c’est bon puis des fois c’est dégueulasse.

Dans les classes, il faut de l’ordre. Donc des rangs, des rangées, des règles de vivre-ensemble (la blague) pour, déjà, que ce soit pas la guerre civile dans cette micro-société d’Etat. Et comme il faut de l’ordre, il faut aussi et surtout des figures d’autorité. D’où le maître ou la maîtresse. Pour l’enfant, c’est déjà réglé : sa figure d’autorité, elle parle comme une gamine et n’a aucun vocabulaire. Ça fait un peu plaisir de constater que l’enfant n’est pas tout à fait docile, que c’est pas une comme de la glaise prête à se laisser instruire et former. Parce que dans la classe, il y a le chant de La Marseillaise affiché. Il y a la Charte de la Laïcité. C’est comme maquiller le racisme d’Etat en pseudo-ouverture religieuse. Je vous passe les querelles - la religion, les aliments dans les repas, la cantine impayée etc. - ce n’est pas un texte polémique. Parce que l’Etat, c’est comme il sera seriné à l’enfant, c’est le lieu des droits humains, c’est la lumière des Lumières qui resplendit sur le monde. L’Etat, c’est comme un lumignon qui veille à ce que la tolérance gagne toujours et partout et tout le temps.

Et cette lumière, elle vient aussi de la poésie d’Etat, affichée sur les murs de la classe. Il y a Maurice Carême, Jules Supervielle et Robert Desnos. On y voit pas Lucien Suel, Charles Pennequin ou Laura Vasquez. La poésie d’Etat, c’est comme une bonne vieille copine mais très sélective dans ses affinités poétiques. Pour commencer, faut d’abord que les poètes soient morts pour avoir droit de cité au sein de L’Etat.

L'institution scolaire, c’est comme une leçon de sociologie en pratique. Y a pas besoin d’aller subir des cours magistraux de méthodologie administrés par des penseurs soi-disants “critiques” et qui n’ont jamais quitté l’école.  Ils sont passés de l’école à la grande école. La stratification sociale ou la domination, ça s’expérimente. Ça s'apprend pas. Ils font quoi ta maman et ton papa, comme métiers ? Je peux venir jouer chez toi samedi ? Si l’enfant est bon observateur, ça suffit. Parce que la question de la voie professionnelle à emprunter se posera très bientôt pour l’enfant. Et plus l’enfant grandira, plus il y pensera et l’Etat fera tout pour qu’il y pense, pour et par lui-même. C’est comme dire à l’enfant, il faut que tu te choisisses un métier. L’Etat lui dira plus tard, implicitement, au regard des notes et des couleurs que l’Etat lui aura attribué, qu’il ne peut pas pas choisir le métier qu’il veut mais un métier en adéquation avec ses compétences, qui sont de trois sortes : acquises, non acquises et en cours d’acquisition. Et comme l’Etat, c’est le parfait dissimulateur, jamais il ne parlera à l’enfant des tables de mobilité sociale. En revanche, l’Etat lui signifiera maintes fois fois ses insuffisances et peu à peu, se dessinera le destin scolaire et professionnel de l’enfant.

Pour ça, l’Etat met en place de faramineux salons de l’orientation, de découverte des métiers, des stages en entreprise. Des bonnes et des mauvaises filières. Moi, papa il est directeur d’un cabinet de prospection immobilière, il peut me prendre une semaine en stage. Moi, maman elle est femme de ménage et je trouve pas de stage.

Les tables de mobilité sociale, c’est comme les tables de multiplication mais en pire.

Merci l’Etat.


Participation à l'atelier d'écriture de Laura Vasquez

 


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