dimanche 24 octobre 2021

Les formes du trou

Les formes du trou


Mais de quel trou tu parles ? Je parle du trou c’est tout et des formes qu’il prend je parle du trou sans fond du fond sans fond où en tombe sans crier gare et dont tu vois pas le bout et donc tu n’en sais pas LA forme c’est plutôt une sensation de forme juste là dans ton corps peut-être dans l’estomac et peut-être plutôt la forme d’une enclume aiguisée qui pèse et qui coupe et qui te laisse pas d’autre choix que de t’asseoir et de d’attendre que ça passe mais ça passe pas donc t’es là assis pendant des heures et l’enclume elle t’empêche de te lever et tu la sens juste elle l’enclume et tu peux penser à rien complètement à rien tu peux penser excepté à cette pensée vide comme un trou un ravin escarpé dont le fond t’aspire mais ce ravin ça peut être aussi un sable mouvant qui t’englue le corps et la pensée étant donné que le trou sans fond il t’aspire tout et que tu n’as pas de prise te fait glisser ou t’engluer c’est un peu des deux oui c’est les deux ensemble bouger c’est trop penser c’est trop tellement trop que même les substances sont incapables de t’aider parce qu’avec les substances tu peux encore moins avoir de prise parce que l’objectif des substances c’est de te détendre de t’empêcher de trop penser et les pensées tu les sens pointer le bout de leur nez mais elles sont jamais formulées je parle même pas de les dire mais de les formuler rien que dans ta tête ta tête entrouée ton ventre noué par l’enclume qui t’immobilise elle t’immobilise sans t’empêcher de tomber encore plus dans le trou sans fond du fond sans fond et même que tu te regardes tomber c’est infernal tu voudrais bouger un bras pour te raccrocher mais l’enclume elle t’entroue davantage tu peux que te regarder tomber dans le trou sans forme ou alors une forme d’entonnoir avec un fond de plus en plus sombre une forêt obscure à côté c’est un puits de lumière mais t’es quand même bien égaré hors de la voie droite tu ne fais que chuter dans l’entonnoir les sons les paroles glissent et au bon d’un moment t’es bien obligé d’admettre que t’es dans le trou d’une dépression très sévère oh c’est pas la petite déprime des couineurs toi tu ne peux même pas couiner parce que l’enclume elle t’obstrue t’es dans le silence et l’inertie mais une inertie en forme de chute oui c’est ça la forme d’une chute la chute dans le trou du trou que quand tu essaies de voir le haut y a quelqu’un qui déjà le rebouche alors tu voudrais gueuler qu’il y a toi dans le trou que tu veux remonter mais vas gueuler quand tu ne peux même pas couiner pourtant tu as tout le temps pour rassembler le peu de force que tu as pour gueuler un bon coup mais non y a rien qui sort et t’en as même pas envie que ça sorte tu te dis même que t’es trop faible et que tu mérites ça d’avaler les pelletées de terre qui viennent du haut de l’entonnoir tu ne peux plus lutter c’est tout tu écoutes les bruits qui sortent des bouches tu ne les entends plus tu voudrais mais tu ne peux plus au bout d’un moment tu veux même creuser toi même et là c’est un fond sans fond plus profond c’est une crise suicidaire qu’on t’explique ah bon tu dis ils te répondent oui oui vous êtes pas sorti de l’auberge ça va être long on va vous donner d’autres substances ils répètent que ça va être long de dissoudre l’enclume aiguisée



Participation aux ateliers d'écriture de Laura Vasquez.

vendredi 22 octobre 2021

Sans pitié

 Sans pitié


Nous marchons librement

Nous chantons en marchant

Nous marchons en riant

Nous sommes le liant


Ils veulent défaire le liant

Faire taire nos chants

Faire de nous et de notre pensée des délinquants

Ils criminalisent nos mouvements


Indistinctement

Ils ont transformé notre marche

Ils veulent en faire un match

Dans une nasse ils ont enfermé notre marche


Nous décidons de poursuivre la marche

C’est notre marche à nous et comme on veut on marche

Au rythme de nos pas librement marchés

Nous marchons nous marchons


Ils forment en face un mur bleu humain

Notre marche est une marée humaine

C’est ce qu’ils veulent

De l’humain contre de l’humain

De bons humains autoritaires

De mauvais humains contestataires


Leur mur veut disloquer nos belles vagues gaies poussées par le vent

De quand nous marchons librement

Nous y sommes bien dans notre marche nos chansons à l’unissons

Ils se mettent aussi dans un unissons, bien soudés

De tous côtés

Leur mur est devenu carré

Ils nous est maintenant impossible de librement marcher

Notre marée stagne

Il y a un peu d’écume au dessus de leur mur devenu carré

C’est l’écume grise des gaz

Leurs gaz font sur notre marche un orage

Notre marée se fait grosse et mouvementée

L’écume devient rosâtre parfois 

A cause des coups portés et qui font comme comme des éclairs

Le tonnerre commence

Notre marée filtre dans le mur carré


Le carré est plus petit

Le gros de la marée est comprimé

Derrière le mur des chars à eau se mettent en mouvement

Nous ne marchons plus librement


Nous ne marchons plus du tout

Nous devenons la proie de leurs coups

Nous répondons par des coups

Ils nous agrippent par le cou et nous plaquent sur le bitume

Ils appuient leurs genoux sur notre marche stoppée


Ils savent qu’ils nous font mal

Le mur était leur auxiliaire

Ils justifient leur fonction

Ils sont à toutes les jonctions

Ils nous lancent des injonctions


Ils triomphent sur abandon


ILS SAVENT DÉJÀ QUE NOUS REVIENDRONS


Un jour vraiment nous marcherons librement

Et notre marche stimulera nos pensées LIBÉRÉES

Et nous serons sans pitié. 



mercredi 13 octobre 2021

Repos

 Repos


Je me repose dehors à la levée du jour

C’est à dire entre jour et nuit

Quand le noir de la nuit

Devient gris

Puis sensiblement

Violet

Les bêtes bruissent

Les aboiements au loin

Les contours des arbres se dessinent

Dans le noir du presque nuit

Du déjà gris

Péroraison de petits volatiles tranquilles

Avant le ronflement du grand mouvement

Sur le périph

Doux repos d’avant les visages humains

D’avant les corps humains

D’avant la voix humaine

Sentir l’air sur le crâne

Ne pas lâcher l’immaculée naissance du jour

La maintenir en pensée la capter l’enfouir dans le regard

Pas encore souillée par les mouvements humains

Les gesticulations et l’incontinence verbale

Bien faites pour donner un air de sérieux 

Aux puériles activités

Ça y est

Les volets claquent

On devine l’implacabilité de la nouvelle journée

Bruits d’eau

Toux

Les cafetières tournent

Les moteurs tournent

Les cerveaux tournent

Les volants vont tourner

Les pieds vont marcher piétiner ratiboiser cette belle journée

Toutes unités centrales allumées

Toutes les paires d’yeux rivés sur les écrans

Les conversations avortées entamées terminées

L’ordre du jour des réunions

On peut dire que la plupart des activités consisteront bientôt uniquement

A concevoir

A distribuer et à vendre du papier toilette

Il sera bientôt interdit de penser à autre chose

La belle journée que je vais passer à

Me reposer

Je vais même laisser

La télévision me regarder

Parce que je suis fatigué

Et que je dois bien me reposer

C’est ce que le médecin a dit

Il faut bien vous reposer

Car vous avez trop souvent envie de pleurer

Et contre les larmes faut éviter la contrariété

Surtout il faut bien vous reposer

Parce que vous pourriez exploser ou imploser

Je ne peux pas me prononcer

Sur la nature de la déflagration

Ce dont je suis certain

C’est qu’il faut vous reposer


Participation aux ateliers d'écriture de Laura Vasquez.

vendredi 1 octobre 2021

Tête de mort

 

Tête de mort


Tu travailles

Il travaille

Vous travaillez

Ils travaillent

Pour qui ?

Pour quoi ?

Comment on travaille ?

On travaille comme on peut

Quelles sont les conditions de travail ?

Elles sont mauvaises

Quelles sont les relations de travail ?

Elles sont mauvaises

Quel est le rapport hiérarchique ?

Il est mauvais

Le rapport hiérarchique te coupe la chique

Pour toucher ton chèque il faut te faire couper la chique

Le rapport de force n’est pas favorable

Le rapport de force est mauvais

Tu veux pas te faire couper la chique ?

Tu veux pas admettre que le travail c’est la liberté émancipatrice ?

Tu veux pas qu’on essore tes compétences ?

Tu n’as pas d’appétence pour le silence ?

Tu veux pas exécuter ?

La porte est grande ouverte

Tes hiérarchiques l’ouvrent et il y en a 150 qui s’engouffrent aussitôt

Le chantage au chômage

L'instrument disciplinaire

Ici, le chômage c’est suspect

D’ailleurs on ne dit plus chômeurs on doit dire demandeurs d’emploi

Dès que j’ai pu j’ai mis mon pied dans la porte

Ils avaient essoré mes compétences

Plus exactement ils disaient tu es trop critique

Tu ne veux pas exécuter

Tu ne peux pas exécuter

Tu es trop critique

On dirait que tu t’ennuies

Aux pause-déjeuner on peut pas te parler

Tu manges tu fais la gueule et tu files

Alors j’ai dit

Ah mais ça c’est parce que je trouve vos conversations sans intérêt

Quand je suis en pause je suis en pause je parle pas du professionnel

Vous, vous n’êtes que des professionnels

Et de bons petits citoyens

Vos opinions sur les sondages 

Vos taux d’emprunt avantageux pour la voiture pour la maison

Que vous passiez au solaire

Que votre banquier soit sympa

Ca m'indiffère

Vous dépassez jamais de la case allouée

Les cases faut qu’elles explosent

Je suis le kamikaze anti-cases

Ce serait plutôt ça mon job

C’est un job solitaire

Ca n’exige pas de compétences spécifiques

Je ne veux plus qu’un n+1 plus con que moi me dise ce que je dois faire et comment je dois le faire

Je ne veux plus en référer au référent

Je ne veux plus participer au salariat

Et le salariat ce n’est plus le travail quelqu’il soit

C’est l’environnement de travail

C’est l’étau

C’est la tête sur le billot 

C’est la collaboration

C’est la victoire écrasante de la sociologie des organisations

C’est la victoire du management participatif

C’est la gerbe

Je ne veux plus avoir la gerbe

Je veux être sain

Je veux être libéré

Je ne veux plus partir le matin quand il fait encore nuit

Je ne veux plus revenir le soir quand il fait déjà nuit

Et ne rien voir du jour

Ne rien voir grandir

Et le regretter bien plus tard

Quand c’est trop tard

Le travail c’est devenu un truc de mort-vivants

Sur leurs tombes ce sera pas inscrit 

“AURA ÉTÉ UN HONNÊTE SALARIÉ” 

Ils prenaient pas de place

Ils se sont contentés de leurs cases

Plus ou moins importantes

Avec leurs petites contributions

Salariés jamais considérés en entier

Les petits patrons c’est pire

Salariés d’eux-mêmes de leur plein-gré

On ne manque pas de héros

Et quand je vois ça

Je n’ai plus rien à en dire

Il suffit d’ouvrir les yeux

Une bonne fois

Et alors la grande liberté émancipatrice

Cette impératrice

Tu la vois bien en face

Toute sa tête de mort

BIEN EN FACE  



Participation aux ateliers d'écriture de Laura Vasquez