vendredi 26 novembre 2021

Senti(ment)s

  


Les senti(ment)s



Les sentiments sont beaux

Les sentiments sont doux

Les sentiments tiennent chaud

Les sentiments nous raccrochent


Les sentiments sont univoques

Les sentiments sont déroutants

Les sentiments ont la vie dure

Les sentiments sont envahissants


Les sentiments sont cordiaux

Les sentiments nous rassurent

Les bons sentiments sont bons

Les mauvais sentiments sont mauvais


Les sentiments mentent

Les sentiments avalent

Les sentiments desservent

Les sentiments tiennent en laisse


Les sentiments se forment doucement

Les sentiments nous enlacent

Les sentiments jouent gaiement en nous

Les sentiments sont des guirlandes qui éclairent


Les sentiments nous obstruent

Les sentiments nous aveuglent

Les sentiments nous embarrassent

Les sentiments ne tiennent pas la longueur


Les sentiments se partagent

Les sentiment font le lien

Les sentiments nous tiennent ensemble

Les sentiments se prolongent dans le temps


Les sentiments sont longs

Les sentiments sont creux

Les sentiments sont apparents

Les sentiments nous consomment


Si tu donnes des sentiments

Il se peut que tu en reçoives

Dans cet échange de sentiments

Nous pouvons être forts et grands


Les sentiments ne durent pas

Les sentiments s’étiolent

Les sentiments sont encombrants

Les sentiments se font la malle avec le temps


Les sentiment sont informes

Les sentiments sont vides

Les sentiments sont impuissants

Les sentiments sont obsolètes


Parfois, il y a encore un sentiment qui pousse

Qui voudrait se déployer

Prendre racine

Juste là

Histoire de te dire qu’il est là


On a vite fait le tour des sentiments

On les connaît par cœur

Avec leurs truanderies

Les sentiments nous tuent


Les sentiments se muent

Ils graissent et transgressent

Les sentiments font les malins

Les sentiments prennent des allures de mutins


Mais les sentiments on les a trop vu

On les a trop senti avec leurs gueules et leurs odeurs

Les sentiments sont superflus

Les sentiments ne servent à rien


Les sentiments ont la vie dure

Ils s’accrochent pour te tenir chaud

Les sentiments murmurent

Les sentiments cajolent 


LES SENTIMENTS SONT USÉS

LES SENTIMENTS SE DÉLITENT

LES SENTIMENTS NE SERVENT À RIEN

LES SENTIMENTS SONT DES ENTRAVES




Participation aux ateliers d'écriture de Laura Vasquez

dimanche 21 novembre 2021

Poésie émeutière

 Poésie émeutière



Y en a marre de la poésie qui poésifie

Qui fait la belle avec les couchers de soleil

Qui tire sa gloriole des béates aurores 

ô qui se pâme du jour soit-disant nouveau qui vient

Des feuilles d’automne qui tombent

Sur lesquelles elle marche et qui écoute ses pas

Dans la contemplation de son nombril


Y en a marre de la poésie qui réifie la vie

Qui compte les strophes


Il faut faire de la poésie qui apostrophe qui accroche

Qui dit le réel de la vie

Les salaires de misère

Les logements de misère

Les pensées de misère

Les espoirs miséreux et les genoux cagneux


De la poésie directe

Pas représentative

De la poésie sociale et impérative

De la poésie qui s’invite et prend de force

Les têtes et les corps de ceux qui se torchent avec la poésie contemplative

Parce que la poésie contemplative et bien rimée les a fait chier toute leur scolarité


De la poésie émeutière

Altière

Cavalière

Qui forme cortège

Un indigeste et cauchemardesque cortège

Qui fera fuir les syndicalistes les slogans et les mots d’ordre bien balisés

Qui ne rentre pas dans les rangs


De la poésie émeutière

Sans revendication particulière

Seulement de la vie qui se vit

Celle de la colère enfouie

Une poésie de la cocotte minute en chacun et chacune d’entre nous

Une poésie de mots explosifs qui vont où ils veulent et qui font du bruit

Chacun et chacune hurlera sa colère depuis bien longtemps


Le cortège de la poésie émeutière se disseminera vite

Partout

La poésie émeutière destituera la poésie établie avec ses petits habits

La poésie établie qui ne dit rien sinon les états d’âme des poètes établis et bien mis dans leurs petits habits et les revues bien établies


La poésie émeutière renversera

Partout il y aura des feux de poubelle

Elle fera sien le mobilier urbain

Elle en usera comme il lui plaira


La poésie émeutière jouera aussi au chat et à la souris

Elle donnera le tournis avec des mots inédits

Hurlés par ses poètes profanes 

Personne n’y échappera

La poésie émeutière prendra place dans la masse

Elle fera la nique aux nasses de l’ordre poétique et politique

Elle se dira partout

Dans les CAF au Trésor public et dans les préfectures

Dans les mairies les assemblées départementales et régionales

La poésie émeutière fuira les syndicats

Des mots nouveaux mais anciens par l’enfouissement dans le dedans des émeutiers

Des vies d’enfouissements dans le consentement


Seule la poésie émeutière dira à nouveau le contentement ou tendra vers

Ce sera son unique règle

Dire ses mots inusités dans des lieux non accoutumés

C’est à dire PARTOUT

Les mots des loyers impayés

Les mots des crédits non-honorés

Les mots des salariés écrasés

Les mots des chômeurs

Les mots des sans-papiers

Les mots des femmes violées

Les mots des radiés du monde 


La grande armée de réserve s’exprimera à nouveau

La poésie émeutière ne théorisera pas

Elle se fera toute seule

Elle liera des contrées très éloignées

Les établis en seront tout ébahis

Les établis seront bouche bée

Et alors la poésie émeutière marchera sur leur langue

Car la langue des établis a toujours été celle du pouvoir

Et ce que veut toujour un pouvoir, c’est durer

C’est persister dans son hostilité à la masse, dans son inhumaine inanité

Dans la gestion de la crise

Avoir le monopole de la gestion de la crise


La poésie émeutière sera son pire cauchemar

La poésie émeutière sera partout

Entière, nouvelle et ingérable

La poésie émeutière sera elle-même la crise









jeudi 11 novembre 2021

On est déjà dans le sapin

 ON EST DÉJÀ DANS LE SAPIN


Les souvenirs sont un magma. Je cherche à en isoler quelques-uns, pour les relater dans leurs moindres détails. Je ne peux que constater mon incapacité. Ils viennent tous ensemble, crachant et bouillonnant. Les souvenirs, c’est de la lave qui coule.


Les souvenirs viennent ensemble tout collé. C’est la souffrance qui les lient. Pour les isoler, il faudrait un couteau de garçon boucher. Un grand hachoir tranchant. Et une lame, ça fait mal. Pas envie de découper les souvenirs. D'aller trifouiller là-dedans.


Il me serait facile de le faire. J’en ai recueilli des centaines, des parcours de vie, quand je me livrais à la sociologie, cette merde.


Moi aussi, j’ai des madeleines, des maisons avec chacune leurs bruits caractéristiques, chacune leurs occupants. Mais les occupants ont disparu. Je pourrai faire un journal des disparitions. Mais je le fais déjà tous les jours, à chaque minute. A chaque minute, je tiens les minutes vivantes des disparus.


Les souvenirs, c’est la mort. C’est de la mort qui s'emmagasine, se sédimente et forme d’épaisses couches solidaires à l’intérieur de soi. C’est de la géologie, pas de la généalogie. Assez des connaissances génétiques et génériques. On tire une couche et tout s’écroule. Et l’écroulement, c’est être écrasé encore un peu par le poids des souvenirs, de la mort déjà déposée en nous.


Tout s’écroule ou plutôt tout vient, suit, suinte, coule.


Les souvenirs, c’est la mort. Tarkos parlait de patmo. Il vaudrait mieux ici parler de patmort.

Pour préserver le peu de vie qu’il reste, il ne faut pas toucher aux souvenirs. Une pensée, toute petite pensée, de temps en temps. Sinon, le peu de vie qui demeure encore s’écroule.


Si je tire un bout de souvenir, c’est tout un musée qui vient. J’ai déjà mon lot de musées. Des pierres tombales, que je laisse solitaires, parce que justement, tout est là, à l’intérieur. Minuté, archivé dans le cœur encore  faiblement et timidement battant. 


Se rappeler du joyeux, c’est trop, parce que plus rien n’est spontanément joyeux. J’ai fait le grand puzzle. à quoi bon s’attarder sur quelques pièces ? C’est fouler le puzzle.


Oui, je pourrai faire le journal d’avant les enlèvements. Des humains, des bêtes, des choses.

A quoi bon ? Se torture encore, alors que déjà ça torture à chaque instant. Un journal d’enfance, un journal d’adolescence, un journal d’adulte. Un journal des deuils, des maladies, de ces mille choses perdues. Des innocents Noëls aux grandes tables décorées, les odeurs inoubliables de certains mets. 


Les grandes tablées sont désormais désertées. La symphonie des voix chéries s’est éteinte. L’orchestre a bien rétréci.


A quoi ça rime de faire revivre un orchestre mort ? 


On est déjà dans le sapin.


Participation aux ateliers d'écriture de Laura Vasquez.