mercredi 19 janvier 2022

Un feu de dieux

 

J’ai voulu piquer le feu aux dieux

Les dieux ont rit

Je me suis fait piquer par les dieux

On ne se le laisse plus piquer notre feu que m’ont dit les dieux

J’ai argué que je voulais juste leur emprunter

Tu te fous de nous que m’ont dit les dieux

Ça se voit que tu n’y connais rien

On ne se sert plus de notre feu, on marche au nucléaire

Tu sors d’où que m’ont demandé les dieux

Là, j’ai bien senti que c’était eux qui se foutaient de moi

Je sors de nulle part j’ai balbutié 

J’en menais pas large

Ils m’ont filé un nuage pour que je redescende

Ils ont soufflé un grand coup tous en même temps 

Histoire que je déguerpisse plus vite


J’ai eu le loisir d’admirer toute la dégueulasserie humaine

J’ai traversé une grosse masse marronnasse

C’était le reflet des pollutions du sous-sol, de la terre et des airs

Tu sors d’où qu’elle m’a demandé 

J’ai répondu en me pinçant le nez que je sortais de chez les dieux

Ils t’ont rien dit ? qu’elle m’a encore demandé 

Comme elle avait l’air circonspect, j’ai répondu que les dieux avaient rien dit


Et elle a eu l’air soulagé et elle m’a expliqué qu’elle avait d’abord cru que j’étais

le représentant de la délégation mondiale climatique et

que je venais pour fixer un calendrier de négociations

Je me disais aussi, qu’elle a continué, tu viens pas du bon côté

Parce que ça fait des lustres que j’entends des murmures qui viennent d’en bas et

qu’on me laisse bien peinarde

Elle a baissé les yeux et elle a vite marmonné que c’était pas comme si en bas

ils risquaient l'extinction

J’ai un peu pris sur moi et j’ai demandé à mon tour si elle avait pas vu un feu

dans le coin, comme ça, à tout hasard

Tu te fous de moi que m’a dit la grosse masse marronnasse, je ne vois que ça du feu,

mais c’est pas celui des dieux

Je l’ai saluée et j’ai poursuivi ma descente sur mon petit nuage bien blanc,

qu’était devenu marronnasse à son tour


J’ai atterri en face de chez moi

Une petite cabane de jardin délabrée dans laquelle je griffonne mes trucs

A quelques emmanchures de la grande bâtisse de l’arrière-garde

Tout au fond du parc du grand manoir des classiques 

J’allais ouvrir ma porte quand j’ai entendu un bruit 

Je me suis retourné

C’était encore un suiviste qui courait derrière un avant-gardiste

J’ai haussé les épaules en me disant qu’ils pouvaient toujours courir après le feu

Tous autant qu’ils étaient 


Ça marche au nucléaire


dimanche 16 janvier 2022

Toi, là-bas !


Toi, là-bas !

Oui.

Toi.

Tu peux prendre la parole

Tu as le droit de prendre la parole

Si tu ne prends pas cette parole, personne ne va venir te la donner,

et on va parler à ta place.


Cherche ta parole 

Tout au fond

Le fond qui ne fait pas encore parole

Tu as un fond, comme tout le monde

Tu n’oses pas dire ton fond de parole ?

Tu crois qu’ils se gênent ceux qui prennent la parole ?

Quoi ? Tu dois quoi ?

Tu crois que ta parole n’est pas intéressante ?

Tu crois que la leur l’est ?

Mais si tu continues comme ça ils vont le la confisquer ta parole

Comme ils font déjà

Et tu vas être parlé par des porte-paroles


Tu préfères qu’on porte ta parole ?

Ne cherche pas le registre approprié de parole

Tu prends la parole c’est tout, tu t’en fous

Sinon la parole, elle reste dans ton fond et si tu la prends pas,

Elle va former des noeuds bien serrés et qui vont grossir tellement que tu pourras

plus les desserrer et ce sera de plus en plus dur


Tu m’entends ?

Tu peux grommeler pour commencer

Tu peux crier le grommellement

Ton cri de parole inarticulée, c’est déjà un tri dans le fond de la parole que tu pourrais dire 


Tu vois, on t’entend déjà 

Tu n’es pas habitué à prendre la parole ?

Tu n'es pas sûr que ta parole soit bonne ?

Tu crois que leur parole est meilleure que la tienne ?

Commence par la prendre

Par l’arracher de ton fond

Tu la sens dans ton larynx ?

Oui ?


C’est un bon début de parole.

Tu vas encore faire un effort parce que tu en as marre

Tu sens bien que ta parole mise dans l’urne elle vaut que dalle

Ta parole urnée, c’est leur parole confiscatoire à eux

Comme la parole écrite dans les livres

Non, ne te pose pas la question de la légitimité de ta parole

C’est justement ça que ceux dont la parole vaut que dalle attendent


Tu m’entends ?

Tu vas la rassembler et il va falloir la sortir

Elle est là

Tu vas expulser ta parole de ton fond

Comme une rafale de mitraillette

Tu la sens dans ta bouche ? 

C’est bien


Quoi, t’as pas fait le tri dans ta parole ?

Tu t’en fous de ça

Tu es encore un bleu de la parole

Tu vas mal viser c’est obligé 

Tu ne peux savoir encore quelle partie de ta parole va sortir de ta bouche

Ni celle de leur parole que vas tu faire taire

C’est juste le début de ta parole et elle vient de loin

Elle n’est qu’un murmure de cris jusque là étouffés


Exerce toi à dire ta parole

Ta parole va grossir

Tu vas te constituer ton stock à toi de parole

Et ce sera pas de la mièvre cajolerie bien polie

Bien jolie

Ta parole à toi

C’est une bombe

Après ta parole, j’en suis sûr,

il y aura un grand silence 

Et on ne les entendra plus, tous les confiscateurs de parole