jeudi 23 septembre 2021

Ton corps

TON CORPS

Participation aux ateliers d'écriture de Laura Vasquez


C’est fou comme en peu de temps t’es devenu gris

Ce sont les effets des produits

Les effets des produits de la chimiothérapie

C’est fou comme tu as gonflé

Ton corps est sous l’effet d’un  immense gonflement

Ton cou est gonflé et ta voix est cassée

C’est l’effet de la chaîne ganglionnaire qui s’est formée

Tes bras sont gonflés on dirait des bouées

Pendant des années de beaux muscles bien noués 

T’avaient permis de bâtir des maisons de monter des motos

De déplacer à toi tout seul une bétonnière pleine jusqu’à la gueule

Et maintenant t’es là dans un lit du service d’oncologie 

Du second étage en partant dans la nuit d’automne

Je levais la tête et ta main jadis si solide

Nombreux étaient ceux qui disaient qu’elles étaient d’or que tu en faisais ce que tu voulais

Apparaissait à la fenêtre de la chambre 228

Ta main qui prolonge le bras et que tu lèves

J’attends encore un peu et ça y est, tu lèves le pouce

Des innombrables voyages que tu as fais celui-ci est le plus court

Fauteuil lit fauteuil lit fauteuil lit fauteuil toilettes lit de la chambre 228

C’est le plus court mais le plus éreintant de tous tes voyages

Et pour être encore plus lent traîner avec toi la perfusion et la machine à morphine

C’est ce qu’il y a maintenant de plus solide en toi

Partout sur ton corps, quand je te passe de l’eau de cologne parce que les douches tu n’en as plus la force

Je ne peux que voir les énormes hématomes verts sur ton corps gris

C’est comme lire les hiéroglyphes de la mort qui s’avance

Qui va prendre ce corps où pourtant battait si fort la vie

La force vitale énorme qui t’habitait

Ton yaourt et les produits protéinés tu peux même plus les manger seul

La petite cuillère est désormais plus lourde que la bétonnière

Ces mains si adroites ont déclaré forfait

Et comme le cathéter est implanté dans la fémorale

On t’aide dans les toilettes

Toi qui soulevait et portait les sacs de bétons de 50 kgs par deux

Un sur chaque épaule

Toi le champion à l’atelier de l’avionneur l’as des as de bowling golf ball-trap

Un peu paumé quand l’avionneur t’as mis dans les bureaux derrière un ordinateur

Cette salope de tumeur de partout elle t’a chopé

Et on avait beau s’y attendre comme des cons on continuait à espérer 

Et puis un jour le service de réa a appelé

On a attendu dans le sas

Rien qu’au regard de la nana, on a comprit

Ca a duré trois mois tout ça

Ton corps gris à la morgue ils l’ont refait devenir un peu blanc

En tout cas le visage

Ce visage si doux ton visage si doux tes yeux bleux si doux plus doux que le bleu des îles

A une année de la retraite


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