Quelques citations, tirées d'Ulysse (1922, trad : A. Morel)
"Sous son pied le sable grenu avait disparu. Ses
souliers foulèrent de nouveau un magma humide et grinçant, coquilles
manches-de-couteau et crissants graviers, et tout ce qui vient briser
sur les galets innombrables, bois criblés de vers, Armada perdue. Des
sables imbibés d'eau gluante guettaient ses semelles pour les aspirer,
exhalant une haleine d'égout. Il les côtoyait, marchant avec précaution.
Embourbée à mi-corps dans la pâte plastique du sable, une bouteille de
porter se tenait au port d'arme. Sentinelle : île de la soif terrible.
Des cercles de tonneaux brisés au bord de l'eau ; sur le sable un dédale
de filets sombres, astucieux ; plus loin des dos de maisons avec leurs
portes griffonnées à la craie, et à mi-côte sur une corde de séchoir
deux chemises crucifiées. Ringsend : wigwams de pilotes basanés et de
patrons de barques. Leurs coquilles".
"Sous l'influence du flux il voyait les algues
convulsées s'élever avec langueur, balancer des bras qui éludent quand
leurs cotillons elles troussent, balancer dans l'eau chuchotante, et
lever de timides frondes d'argent. Jour après jour, nuit après nuit :
soulebées, inondées, laissées à plat. Seigneur, elles sont lasses, et au
chuchotement de l'eau elles soupirent. Saint Ambroise l'entendit, le
soupire des feuillages et des vagues, en attente, dans l'attente depuis
toujours de la plénitude de leurs temps, diebus ac noctibus iniurias patiens ingemiscit.
Pour nulle fin rassemblées, puis en vain relâchées, s'avançant avec le
flot, avec lui revenant en arrière : écheveaux du métier de la lune.
Elle aussi, lasse aux yeux des amants, des hommes lascifs, une reine nue
rayonnante en son royaume, elle tire à elle le réseau des eaux".
"Tout droit vers la mer morte leurs pas les mènent
boire, inassouvis et en d'horribles goulées, le flot dormant, salé,
inépuisable. Et le prodige équestre de nouveau croît et se hausse dans
le désert des cieux à la taille même des cieux jusqu'à recouvrir,
démesuré, la maison de la Vierge. Et voici que, prodige de
métempsychose, c'est elle, l'épouse éternelle, avant-courrière de
l'étoile du matin, l'épouse, toujours vierge. C'est elle, Martha,
douceur perdue, Millicent, la jeune, la très chère, la radieuse. Comme
elle est à présent sereine à son lever, reine au milieu des Pléiades, à
l'avant-dernière heure antélucienne, chaussée de sandales d'or pur,
coiffée d'un voile de machinchose fils de la vierge ! Il flotte, il
coule autour de sa chair stellaire et ondoie et ruisselle d'émeraude, de
saphir, de mauve et d'héliotrope, suspendu dans des courants glacés de
vent interstellaire, sinuant, se lovant, tournant nos têtes, tordant
dans le ciel de mystétrieux caractères au point qu'après des myriades de
métamorphoses il flamboie, Alpha, rubis, signe triangulé sur le front
du Taureau".
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