Un chômeur pris dans la toile des dispositifs d'insertion.
Circulation circulaire d'un contrôle social
Mr. V., âgé de 35 ans, est « bien connu des services sociaux ». Il est allocataire du RMI depuis 2002 et a été régulièrement l'objet d'un suivi médical et psychologique. Il a connu et connaît encore actuellement des ennuis avec la justice. Qualifié d' "impulsif" par son accompagnante socio-professionnelle, il doit effectuer un suivi SPIP (Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation) de 18 mois, assorti d'une obligation de soins et de l'effectuation d'un TIG. Selon lui, « ils m'ont fait casquer le max', ils ont pas été de main morte, juste parce que j'ai mis une claque à quelqu'un. Il m'avait insulté, aussi ! ». Mr. V mène une vie maritale longtemps mouvementée et à deux petites filles qui vont à l'école maternelle. Originaire du Nord, arrivé dans ce département rural après un divorce en 2003, il est titulaire d'un CAP Construction Mécanique et Béton armé. Le dernier emploi qu'il a occupé est un contrat aidé sur un chantier d'insertion en qualité d'ouvrier des espaces verts et de la voirie, qui n'a pas été renouvelé suite à des difficultés relationnelles avec une collègue. Son CV fait principalement mention d'emplois d'ouvrier-maçon ou d'ouvrier de conditionnement dans l'industrie alimentaire, le plus souvent en qualité d'intérimaire. Il touche 517 euros d'Assedic et 190 euros de RSA.
Il arrive au rendez-vous de suivi socio-professionnel préoccupé par son nouvel abonnement d'opérateur téléphonique et
de FAI, qui lui a ponctionné avec un mois d'avance 180 euros pour
« changement et installation de matériel ». Ayant en outre dû
régler son assurance voiture, cela l'a poussé à faire une demande
d'aide d'urgence à son assistante sociale. Il a obtenu 80 euros. Il se
plaint de la « sacrée baisse » de son RSA. « De toute façon, même les
AS elles savent pas comment ils font pour calculer et la CAF, ils
disent pas. C'est tant et terminé ! ». Son accompagnante
en convient également : « oui, moi je m'avance pas
avec les gens que j'ai en suivi ». Il en vient vite à exprimer
son ressentiment à l'égard de son assistante sociale : « elle
est tout le temps en vacances. J'ai mis une semaine à avoir un RDV.
Après seulement elle fait une aide, et souvent c'est une aide juste
pour avoir des colis (alimentaires) mais aller à B., je fais
comment ? Si je viens c'est pour avoir une aide financière,
mettre de l'essence, c'est pas pour aller à B., déjà je roule en
réserve ! Elle me dit ben oui, je sais pas comment faire (ton
railleur)... Moi je vais demander pour changer d'assistante sociale,
avec ses remplaçants, ça va plus vite, elle on dirait qu'elle fait
tout en retard à chaque coup ».
Après un dernier tour d'horizon des
difficultés financières de Mr. V., le rendez-vous de suivi débute réellement quant l'accompagnante demande
au jeune homme s'il a relancé les agences d'intérim. Celui-ci
répond par la négative car il ne se voit accepter une mission alors
qu'il n'a pas assez d'essence pour l'honorer. L'accompagnante fait
valoir que s'il produit un contrat de travail, il sera alors possible
de l'aider pour ses frais de mobilité, mais qu'effectivement, l'aide
est peut-être bloquée du fait de l'usage fréquent qu'en fait Mr.
V.. La professionnelle a tirée une offre d'emploi dans
le domaine agro-alimentaire, pour un poste d'agent de
fabrication polyvalent sur quatre mois, pour 39 heures par semaine en
2/8 ou 2/9. En voyant le nom de l'employeur sur l'annonce, Mr. V.
s'exclame et la refuse catégoriquement : « je retourne
plus chez eux, ça c'est mal passé. J'étais en intérim avec
Addeco. En fait au début, on m'a mis à une place et en fait on m'a
fait tourné et puis comment qu'on m'a prit comme un moins que rien.
Après, j'étais au déchargement (des camions) et normalement on est
par deux, et en fait, je me retrouvais à chaque coup tout seul... ça
se permet de gueuler sur moi, et mais après j'ai vu. Les embauchés
(les permanents), ils étaient à deux sur le quai, alors moi,
comment que ça se fait que je vais être tout seul ? Après,
j'ai été aux canards, en découpe et après, j'ai arrêté. Je
préfère retourner dans le bâtiment ». La professionnelle lui
propose alors un poste de maçon en rénovation, avec une expérience
exigée d'un an mais il s'agit en fait d'un poste d'encadrant d'un
chantier de jeunes. Si « l'enduit et la fabrication de
mortier » ne pose pas de problème, l'accompagnante « (le)
sent trop impulsif pour encadrer un groupe (sourire)». « Je
préfère moi être commandé plutôt que... moi. Si ça se passe
mal ou quoi... ». La conversation tourne alors autour d'une
sorte de dépôt de meubles que Mr. V. a repéré près de chez lui,
mais sur lequel « il n'y a rien, pas de nom, pas de numéro,
pas de boîtes aux lettres » et qui faisait l'objet d'une offre
de travail pour « accompagner les livraisons et le montage de
meubles ». L’accompagnante conseille à son suivi « d'aller
se balader autour » pour voir de quelle sorte d'enseigne il
s'agit, ce que Mr. V a déjà fait, sans résultat.
« Dans le secteur, c'est tout
ce que j'ai qui peut correspondre... ou alors on cherche un maçon,
on fait une EMT pour voir ce que vous savez faire en maçonnerie.
Qu'est ce que vous en pensez ? ». « Ça me dérange
pas mais faudra que je lui explique parce que j'ai RDV (avec le SPIP) bientôt, ils ont rouvert mon dossier pour que j'effectue
quand mêrme le TIG, au centre de tri à V. ». Surprise, la
professionnelle pensait que le jeune homme avait déjà effectué son
TIG. Il s'agit d'un autre TIG pour « bagarre » de 105
heures, lequel à « traîné » car le « dossier est
resté en attente parce qu'ils ont fait n'importe quoi». Selon
Mr. V. ce TIG au centre de tri pourrait par la suite se transformer
en avantage « car ils cherchent souvent du monde ». Mr. V
évoque son ressentiment envers la sévérité de la sanction (TIG,
suivi de 18 mois, obligation de soins, le port du bracelet
électronique lui a été refusé) et contre le SPIP qui selon lui
« bloque complètement la situation, je veux me
débarrasser de tout ça ». « Ils m'ont fait casquer le
max', ils ont pas été de main morte, juste parce que j'ai mis une
claque à quelqu'un. « Mais Mr. V. on met pas des claques,
comme ça, aux gens... ». « Il m'avait insulté,
aussi ! ». Le jeune homme montre encore son impatience
vis-à-vis de son TIG qui ne se fait pas et que de toute façon, il
est hors de question pour lui d'encore y différer, « parce que
là, je suis bloqué »et finit par souffler qu'il veut partir
du département quand la situation sera « remontée ». La
professionnelle ne cache pas sa désapprobation : « pour
le suivi avec le SPIP, c'est vous qui décidez ça... mais vous allez
pas encore déménager ! Vous voulez retourner dans le
Nord ? ». Le jeune homme acquiesce. La réponse de
l'accompagnante ne se fait pas attendre : « là, vous êtes
quand même instable (fait référence aux multiples déménagements
du couple dans le département) et là, vous voulez repartir dans le
Nord ! Va falloir savoir». « c'est vrai que d'être
venu là, y a la qualité de vie, mais c'est loin de tout, y pas de
travail, y a rien ». « Oui, y a rien, c'est le désert ».
Vous êtes venu c'était pour votre loyer qui... ». Mr. V.
évoque un défaut d'isolation et « les voisins au-dessus, tous
les jours c'était le bordel ». « Peut-être aurait-il
fallu envisager de rester, autre part, mais de rester sur B. ».
« À chaque fois, l'Opac, ils me proposent que des trucs
pourris ! Les nouveaux
appartements, c'est mal isolé, j'ai des factures phénoménales (ton
appuyé) ! C'est du double-vitrage, y a des prises d'air
partout ! Là, c'est ma dernière année, j'attends de faire mon
TIG... et après je vais dans les trucs privés. (Il évoque encore
le plancher de mauvaise qualité les bruits de pas, les chaises qui
traînent). Ça devenait impossible ! ». L'accompagnante met un terme à la
litanie : « on est dans l'impasse en attendant des
nouvelles du SPIP ». Le jeune homme évoque aussi la possibilité
de déménager vers le chef lieu d'un département limitrophe. La
professionnelle est dubitative : « On fait quoi ?
Vous relancez les intérims et vous surveillez le dépôt, là ? Vous
déposez un CV. Vous dîtes : voilà je cherche du travail,
j'habite ici, je suis capable d'aider... à faire des déménagements,
puisqu'ils ont eu besoin de quelqu'un ». Le jeune homme opine. C'est alors
l'occasion pour le jeune homme homme d'évoquer les commérages
provoquées par sa mauvaise réputation locale : « ici,
c'est les petits villages, dès que vous êtes connus par les flics,
après les gens ils vous font pas confiance... même à l'école, les
petits, ils vous regardent tout bizarrement. « Ben c'est vous
qui devez prouvez qu'on peut vous faire confiance Mr. V. ! Va
falloir faire vos TIG, vous remettre sur le droit chemin et montrer
que vous êtes capable. Physiquement et tout, vous êtes capables
(ton d'évidence) ». « C'est pour ça, une fois que c'est
fini, j'aimerai bien changé de région, comme ça (il siffle),
personne me connaît et terminé ! ». Il poursuit sur le
caractère refermé des locaux « oui mais c'est aussi à vous
de pas réagir. y a des gens qui peuvent être incorrects mais on
essaie de se calmer. Vous, vous êtes impulsif. Gentil, mais
impulsif. Va falloir montrer que vous êtes capable, que vous êtes
quelqu’un d'autre. C'est pas parce que vous avez fait des blagues
ou des choses... » « Ben déjà je me suis calmé ».
Il évoque encore la question de concilier le déménagement avec le
suivi SPIP. Encore une fois, la professionnelle tente de raisonner le
jeune homme sur la nécessité de bien réfléchir et s’enquiert
des possibilités professionnelles de celui-ci une fois déménagé :
« ben déjà, y a plus de grosses boîtes en travaux publics, y
a des sacrées boîtes, c'est pas des petites missions ». La
professionnelle convient bien qu'ici il n'y a rien qui correspond au
profil du jeune homme, qui est également titulaire de deux Caces et
Mr. V. en profite encore pour réaffirmer son goût dans les travaux
publics : « c'est plus mon domaine, c'est pour ça que
j'ai arrêté la maçonnerie, la maçonnerie générale (il souffle,
ton las)... à chaque fois, il me reprenne comme un manœuvre...
manœuvre (ton de dédain)... attends c'est bon ! ». « Oui
vous avez un CAP, vous avez deux Caces. Quand Mr. V. était dans le Nord (…), il a fait de la
maçonnerie, de l'entretien mécanique auto', il a travaillé comme
ouvrier de conditionnement dans des entreprises d'ici,
de manutention aussi beaucoup, en intérim, et son dernier emploi,
c'était sur le chantier d'insertion d'une commune comme « ouvrier
des espaces verts et de la voirie. Et là vous n'avez pas été
renouvelé parce qu'il y a eu un problème avec quelqu'un du
groupe ». Mr. V. préfère revenir sur son expérience professionnelle, qu'il estime
importante, dans les travaux publics et le sentiment qu'il a d'y avoir été constamment sous-employé : « la maçonnerie, ça me
gave, c'est rengaine, c'est ni plus ni moins comme à l'usine, puis à
chaque fois, j'ai remarqué, même que j'ai (sur) mon CV, ils voient
bien l'expérience (en travaux publics), mais ils prennent tout le
temps comme un manœuvre... Une fois qu'ils ont plus besoin (il
siffle), viré ! ». La professionnelle coupe aussitôt le
jeune homme pour lui faire relativiser son expérience et ses
propos : « je vous arrête. Je vous arrête. Vous avez de
l'expérience en maçonnerie, mais elle pas si (importante)... Je
serais employeur, je ferais pareil. Vous auriez dix ans comme maçon,
là on vous met presque chef d'équipe. Là, votre expérience elle
pas si énorme que ça (grognement du jeune homme). Il faut savoir
repartir à zéro, montrer ses preuves, et si un employeur juge que
vous vous débrouille, il peut vous mettre adjoint au chef d'équipe,
ou responsable d'une équipe ». Le jeune homme se défend et
s'en prend plus largement au comportement des patrons, qui profitent
de la mauvaise conjoncture économique et encore accentuer le
sentiment pour le jeune homme, structuré par de nombreuses
expériences de travail intérimaire, de n'être qu'une simple variable d'ajustement, et voir niée sa véritable
valeur professionnelle : « oui mais les employeurs, avec
la crise, ils vont voir « manœuvre » (sur le CV), attends, j'ai
fait deux ans en tant que manœuvre (il siffle) ! Quand en
intérim, j'ai mis ma qualification, attends ! Ça marchait
direct ». L'accompagnante insiste sur les besoins immédiats de
main d'oeuvre en maçonnerie des entreprises. Le jeune homme fait valoir ses Caces, qu'il
a fait l'effort de passer pour accéder aux métiers des travaux
publics, et ne plus être cantonné dans des postes de manœuvre
subalternes. L'accompagnante lui rétorque qu'également dans les
travaux publics, il n'a que peu d'expériences. S'en est trop pour
Mr. V., qui commence à s'agiter sur sa chaise et dont le débit de
parole se fait plus rapide te plus vif : « dans les
travaux publics ? ( il expire, ton outré) J'ai travaillé chez
Europa, j'étais en CDI, c'est parce que j'ai divorcé que... Ben
alors là, je ramène mes fiches de paie ! ». La
professionnelle lui fait répéter le nom de l'employeur, il ne
semble pas figurer sur le CV de Mr. V. qui lui enlève des mains à
la fois pour vérifier et pour mettre en défaut son accompagnante :
« ben y a marqué quoi là ? » . L'allocataire du
RSA remarque alors que le nom de l'entreprise est mal orthographié
et qu'il y était employé en tant qu ' « ouvrier »,
ce qui l'excède encore davantage. L'accompagnante corrige le CV et
en profite pour en savoir plus sur le poste que le jeune a occupé :
« ben c'est tout ce qu'est travaux publics... y en même un
dans le coin, moi j'ai travaillé avec eux, ici ».
L'information n'est pas non plus reportée sur le CV, le jeune homme
tente de l'étayer sur la demande de l'accompagnante : « ben
tout ce qui est voirie, bordures, tout ça. Ben tout ça, c'est
quoi ? C'est du travaux publics, hein ». La
professionnelle reporte l'information, qui n'avait visiblement pas
été informée de cette dimension de l'expérience professionnelle
de son suivi sur laquelle celui-ci revient encore : « et
là aussi, Jean-Paul B... je vais pas faire un stock (débit vif et
rapide) ! Si je vous ramène toutes mes fiches de paie, y en a un
stock ! J'en fini pas si je fais un CV (référençant ses
expériences successives dans les travaux publics) ! ».
Pour combler le manque, et pour dissiper les derniers doutes sur la
véracité des dires de son suivi, la professionnelle l'interrompt et lui fait
détailler ses employeurs successifs en travaux publics : ben
Jean-Paul B, c'est du TP, PLY, Thierry Béton aussi (ton
d'énumération)... c'est parce qu'en fait ils se sont tous
rachetés... ben alors là, j'en finis plus, c'est plus un CV, c'est
au moins quatre feuilles comme ça, si je devais citer tous les noms
d'entreprises. « Bon, je le met, parce que si vous postulez
dans du TP, il faut qu'il y est quelque chose qui en atteste ».
Tout l'écart dans la conception d'une recherche d'emploi légitime
que se font les protagoniste se condense dans les propos du jeune
homme : « ben ils le savent de toute façon ». Pour
les professionnels de l'emploi, la mise en écrit formelle et
impersonnelle des tâches effectuées et des compétences mises en
œuvre semble indispensable afin d'optimiser les chances de
recrutement du jeune homme. Pour celui-ci, le travail semble
s'obtenir par inter-connaissances et par la maîtrise purement
pratique du métier, directement observable par le patron, de même
que l'endurance physique, qui prime sur la dénomination de l'emploi.
« Je sais qu'il faudra recommencer en bas de l'échelle, mais
ça, ils me prennent deux semaines à l'essai, après ils vont me
mettre direct ma qualification, parce que le mec il sait comment je
bosse après ». Ils font un rapide tour géographique des
entreprises de travaux publics et conviennent qu'il faudrait en
effet faire une quarantaine de kilomètres. Mr. V. évoque encore
une fois les frais d'essence. « On pourra vous aider au
départ, mais après il faudra puiser sur le salaire. On peut pas
tout avoir ! Si vous le voulez vraiment... ». Pour le
jeune homme les choses sont simples : « oui mais attendez,
si je me fais, on va dire le Smig, à peu près 1000 euros nets,
parce que si je mets 300 euros d'essence... si je mets 80 euros, je
fais à peine 400 km (la professionnelle tente d'intervenir, il
poursuit)... parce qu'après les gens y disent : « oui,
mais vous travaillez monsieur (ton plaintif) », mais moi,
après, je repaie tout plein-pot ! Mon loyer tout ça... Parce
que là, je suis aux Assedic... mais après je diminue mais après,
je vis comment ? De rien, en fait. C'est vrai, les gens y voient
pas. Mais moi, j'essaye de voir ça. Soit au plus près. Même quand
je travaillais à la commune, je voyais, je calculais. Je gagnais pas
lourd en fait, vraiment pas lourd (…), genre 700, moins le gazoil,
tout ça... ». La professionnelle lui rappelle qu'il « faut
savoir faire des concessions », « qu'il y a plein de gens
qui se déplacent sur des kilomètres pour aller travailler à
l'heure actuelle. Vous êtes dans une petite commune et y a rien.
C'est pas l'idéal ». Après lui avoir rappelé que c'est le
couple qui est venu ici, se repose la question de l'échéance de son
RDV avec le SPIP et l'effectuation des TIG, le jeune homme s'emporte
en élevant la voix : « une fois que j'ai fini les TIG,
vous allez voir, moi (se tapant la poitrine), moi
je vais faire voir comment que moi je cherche du boulot. Parce qu'en
fait, je suis pas un fainéant ! ».
L'accompagnante s'en défend, Mr V. poursuit et fait
démonstration de son efficacité : « c'est eux (appuyé) qui
me bloquent, la justice, c'est tout... après je me tire (il siffle).
Un appartement, je vais trouver vite fait, et du boulot (tape sur la
table), pour aller chercher et tout... Ce qu'il y a, moi (ton
heurté), j'aime pas les trucs de réinsertion (élève la voix pour
faire taire son interlocutrice), ou... comme les planches-là (évoque
une entreprise d'insertion)... J'ai été pris comme un chien... Vous
vous rappelez comment j'ai été vite ? J'ai été postulé,
direct j'ai été pris ». C'est à présent pour Mr. V.
l'occasion de dire son ressentiment contre l'un des collègues et par
là de donner à voir que l'espace du travail d'insertion est aussi
un espace conflictuel de concurrence entre les salariés. « Alors
là, je tombe sur un italien, il pouvait pas me saquer dés le
départ, parce qu'il a vu que moi, je savais faire mon boulot, mais
fallait pas (balbutie)... un ouvrier comme moi, qui a commencé en
même temps que moi, qui me juge (ton de colère), en plus il me
pique dans mes trucs pour dire que moi j'en faisais moins ? (…)
J'avais une semaine à l'essai, j'ai fini correct (...) même ça se passait super bien là, au
truc de réinsertion (évoque le chantier d'insertion où il était
« ouvrier des espaces verts et de la voirie », contrat
non renouvelé), on m'a claqué quoi ? Une gonzesse qu'a voulu
faire sa chef, dire çi et ça alors que j'avais deux témoins
qu'elle m'avait fait des menaces de mort... moi, j'ai eu deux jours
de mise à pied, parce que moi, soi-disant, je l'insultais... et
après les témoins, ils ont pas voulu (témoigner)... bon alors j'ai
dit (se frotte les mains) : « OK, ça marche comme ça ? Je
renouvelle rien du tout avec vous, terminé ! » Ils ont
pas été mécontents à la mairie ». Le jeune homme en profite
pour réaffirmer ses compétences en travaux publics, combien il a donné de sa personne pour être payé de désillusion en retour: « vous
pouvez même vous renseigner, j'étais sensé faire que de l'espace
vert mais dès qu'y avait du TP, on me prenait tout le temps moi (…)
à décharger des camions, tout seul... il crevait de chaud, à la
pelle ! Pour reboucher les nids de poule... ils pouvait prendre
un vieux (un employé communal), pas le même salaire, ah vas-y tu
bosses ? Et ben on va faire ça, faire ça, faire ça... À un
moment y en a un qui partait en retraite, « peut-être après
ce sera bon , si tu veux passer tes Caces et tout », pour
appuyer... Pour finir en fait, comment j'ai été pris pour un con ! ». La professionnelle tente de reprendre
l'initiative de l'entretien mais se trouve dépourvue, Mr. V.
explique que le responsable de la structure a tenter de le persuader
de revenir après sa mise à pied : « c'est fini, je lui
ai dit, pourquoi vous m'appelez ? Je veux plus avoir de
contact avec eux». La professionnelle, décontenancée, tente de
revenir sur l'idée d'effectuer un stage non-rémunéré d'une
semaine ou deux dans les travaux publics, pour Mr. V. plutôt
« retourner manœuvre que de leur donner du travail
gratuit. Après ils font une évaluation, et puis rien...». Elle
insiste encore sur le fait que le stage « permet de voir si le
domaine convient bien, que ça sert à ça, et de montrer vos
compétences à l'employeur». Mr. V. réaffirme son goût pour les
travaux publics, ce à quoi l'accompagnante répond en élevant la
voix : « ben moi aussi, il y a des choses que j'aime bien, mais
je serais peut-être pas capable de les faire sous prétexte que
j'aime juste bien » et dit, pour clôre l'entretien,
qu'elle va contacter le responsable du SPIP. Le jeune homme éclate,
indifférent aux appels au calme de son interlocutrice: « c'est
eux qui me bloque, moi j'ai plus envie de rester ici. Y a pas de boulot ici, y a rien ! ».
« Ne vous énervez pas. Vous pouvez
me parler sans vous énerver ».
« Non mais on dirait comme si
je fais rien ! »
« Non, j'ai pas dit que vous
faisiez rien ! »
« Hé, l'assistante sociale,
je lui demande une aide, j'ai eu 80 euros... J'ai même plus une
thune, je fais comment moi ? C'est de sa faute aussi ». Il évoque alors l'interdiction bancaire dont il fait l'objet. « On se revoit la semaine prochaine, j'appelle votre
référent SPIP, pour savoir si vous rentrez sur vos TIG, pour qu'on
puisse au niveau de la recherche d'emploi ». Réaliste, Mr V.
ne veut pas être confronté à un employeur avant d'avoir effectuer
les TIG, même si cela ne l'empêche en rien de travailler en même
temps : « il me dit des jours par-ci, par-là ! Il
croit que je vais dire à une entreprise attendez, je travaille tel
jour, et après tel jour parce que là, je dois aller faire mon TIG.
Et si je me fais embaucher ? Un employeur, il sait tout le
passé. Ils aiment pas ça ». La professionnelle se range
clairement à son avis, laisse à Mr. V. l'occasion de dire encore
combien sa situation financière est précaire et conclut sur la
nécessité d'éclaircir la situation avec le SPIP. « Mais
après on se calme, on a plus de TIG, jamais (…), on trouve du
travail et on se relance dans une vie... comme tout le monde »
modère la professionnelle. L'allocataire confie encore son peu
d'attrait pour le département et pour la commune en particulier. Des
problèmes se posent au jeune homme jusqu'à l'école élémentaire
fréquentée par ses filles : « je suis catalogué, parce
qu'y a beaucoup (d'enfants) de gendarmes et tout dans l'école, alors
ils disent de nous « attention, faut faire gaffe avec ces gens-là ». Et
c'est venu aux oreilles de ma fille, elle me dit : « hé
papa ? T'as fait beaucoup de bêtises avec les gendarmes ?
Alors l'autre elle veut pas jouer avec moi parce que son papa il est
de la police et il lui a dit : « faut pas trop jouer avec
eux, ils sont bizarres comme gens. L'urgence
est donc de régler la question la question du terme de
l'effectuation des TIG. Mr. V. redit son souci « après ça
fait mal, hein, pour un employeur... ». Son accompagnante
l'approuve fortement une nouvelle fois, et "verra" avec le SPIP.
Un autre rendez-vous est pris pour la semaine suivante.
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