Dans le cadre du beau projet collectif initié par L. Margantin, nous reprenons un de ses textes présents sur Oeuvres ouvertes.
Un texte sans fard, sans faux et clinquants "effets de réel", attentif
qu'il est à restituer les attributs d'un univers mental à travers des
indices photographiques.
Le papier peint à fleurs roses
Que font-ils là devant le papier peint à fleurs rose ? Eux aussi
sont roses, une petite troupe dont je reconnais chacun des visages
(roses donc). La petite robe en laine et aux deux pompons du bébé au
bout du bras de la grosse tante à gauche est aussi rose. (Curieux, le
bébé qui semble tenu par ce bras comme une marionnette, d’où sa tête
comme artificielle, les yeux pareils à des boutons.) Toute la scène est
rose dans ce coin d’appartement où il y a une fenêtre donnant sur un
monde gris. Monde gris de la cour immense de cette barre HLM, de ce ciel
immense au-dessus de la barre HLM. Mais roses les visages, rose la robe
du bébé, rose le papier peint à fleurs, dedans tout est rose. Leurs
bouches même semblent dire des mots roses, quels étaient-ils au moment
où il appuyait sur le déclencheur, de l’autre côté ? Des bêtises comme
souvent lors de photos de groupes. Des bêtises qu’on devine encore sur
les sourires roses. Des mots semblent encore s’échapper de leurs lèvres
rouges, elles. (On croit se rappeler ces mots.) Oui, de cette diapo
ressort une combinaison de sourires roses sur des lèvres rouges, libre
combinaison. Sourires roses sur des lèvres rouges parfaitement ajustés
au papier peint à fleurs derrière, en combinaison libre. Sans parler des
robes aux motifs de papier peint, encore des spirales, des formes en
cascade, et même si les couleurs des robes (l’une noire, l’autre verte)
n’harmonisent pas avec le papier peint rose, ô jets de couleurs, ô
figures indescriptibles, je ne sais pas finir cette phrase ! Et puis
cette petite main, rose bien sûr, accrochée à un bras qui, par sa
position, pourrait être celui de la grosse tante, mais est en fait celui
de la petite tante au milieu du groupe, tête fixant l’objectif les yeux
narquois, main posée dressée sur la tête de l’oncle moustachu qui fait
une figure d’imbécile à quoi prédispose la photographie, toute une
combinaison de gestes, de figures et de couleurs tournoyant dans le rose
des peaux et du papier peint, toute une architecture d’yeux et de
lèvres rouges (ah, des joues et des nez rouges aussi !), la vie du
papier peint comme mis en lumière par ces corps assemblés, animés par
une harmonie secrète, inconnue que suggère la diapo.
© Laurent Margantin _ 9 novembre 2011
. vous avez là un cheval qui avec vos noms
. avec vos noms de peintres de poètes vos muscles
. avec vos conjonctions vos poumons et vos signes
. avec vos verbes somme toute pas tant cohésifs
. d’une volte d’un dépouillement
. la conjugaison ne compliquerait-elle pas tout
. sans vergogne écrire un cheval qui
. l’obstacle déjoue la circulation des formes
. monter au monde grandi par
. monter au risque de monter à faire de la phrase
. ne pas éviter risquer jouer jeu et pire
. qui reflue à la bouche
Illustration : dessin de Frédéric Dupré
Reprenons également un texte de C. Favre,
qui ne se donne pas assez à lire. Autant certain-e-s étalent leur
incontinence hélas toute scripturale, autant C. Favre distille trop
rarement son écriture, si puissante et singulière qu'on finit par ne
plus seulement la lire mais aussi - surtout - à l'entendre.
. monter à la phrase
. toute phrase est nouvelle
. comme à une paroi d’écho hasard et échappées
. sacs et pics de terre déplacés
. partis-pris implicites
. lieux communs comme comme dit Aristote qu’on déploie
. pour arguments sans mettre en question
. une phrase n’est pas une formule à négocier ou
. seulement monter à la phrase
. en court-circuits
. austères
. la montée Avec le poème. Dans le poème.
. toute phrase est nouvelle
. comme à une paroi d’écho hasard et échappées
. sacs et pics de terre déplacés
. partis-pris implicites
. lieux communs comme comme dit Aristote qu’on déploie
. pour arguments sans mettre en question
. une phrase n’est pas une formule à négocier ou
. seulement monter à la phrase
. en court-circuits
. austères
. la montée Avec le poème. Dans le poème.
. écrire à la trace
. ponctuation partition
. qui fonde quoi
. la Russie pour Mandelstam est Phèdre-la-nuit
. trafiquer quelque chose
. désorienter
. entre les mots et les choses
. monter à risque
. dire
. nommer parade mais
. dire
. en chaos du passé dire
. dire
. et que personne
. dire
. Être en vie : toute comparaison serait vaine.
. à la phrase monter. ponctuation partition
. qui fonde quoi
. la Russie pour Mandelstam est Phèdre-la-nuit
. trafiquer quelque chose
. désorienter
. entre les mots et les choses
. monter à risque
. dire
. nommer parade mais
. dire
. en chaos du passé dire
. dire
. et que personne
. dire
. Être en vie : toute comparaison serait vaine.
. vous avez là un cheval qui avec vos noms
. avec vos noms de peintres de poètes vos muscles
. avec vos conjonctions vos poumons et vos signes
. avec vos verbes somme toute pas tant cohésifs
. d’une volte d’un dépouillement
. la conjugaison ne compliquerait-elle pas tout
. sans vergogne écrire un cheval qui
. l’obstacle déjoue la circulation des formes
. monter au monde grandi par
. monter au risque de monter à faire de la phrase
. ne pas éviter risquer jouer jeu et pire
. qui reflue à la bouche
Illustration : dessin de Frédéric Dupré
© Claude Favre _ 8 avril 2013
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