CROQUIS
C’est un samedi soir d’automne
tardif,
Il est dix-huit heures
Je suis assis sur les marches du
magasin d’articles de sport
En face de l’immense galerie
commerciale
3 étages – 5 escalators – ville
dans la Ville
Les classes moyennes
péri-urbaines ont investies
Le Centre de cette ville urbaine
moyenne de province
Les classes moyennes
péri-urbaines
Vivent leurs semaines à la
périphérie urbaine
Elles se réchauffent maintenant,
s’égaillent
Arpentent et se réchauffent
toutes bien collées au Foyer central
Qui justifie leurs mornes
existences
Leurs mornes emplois qu’il faut
pourtant bien garder
Mornes emplois rémunérés par de
maigres salaires et qui se rognent
Toujours et encore
Quand il vient se frotter à la
cherté de la vie
Dans les regards, la ferme
intention de posséder
Monte la salive en flânant en
plein cœur du Temple
Les mirettes toutes miroitantes
A leurs bras pendent des paquets
emplis de pacotilles
En amont de leurs sorties du
samedi, elles ont fermement négocié des crédits, des échéances
Et elles croient
Pauvres brebis, avoir fait un peu
la nique au banquier.
La galerie commerciale est pleine
d’enseignes et de franchises standardisées
Identiques partout.
Elle couvre un large spectre de
marchandises rutilantes exposées sous mille feux
Et, pareilles au papillons de
nuit, la concupiscence et la libération des sacrifices accumulés par les
familles s’y reflètent. Les appétits se multiplient devant les vitrines
immaculées et étourdissantes.
Les hauts parleurs crachent de la
musique d’ascenseur, pas contrariante.
Toujours assis sur les marches du
magasin d’articles de sport,
Près de moi une bande de zonards
avec laquelle j’ai partagé du tabac.
Voix rocailleuses, grognements
des chiens tout excité par les bruits du martèlement des talons et des semelles
de cuir des gambadeurs, qui font des écarts en détournant le regard.
Non, il ne faut pas que Marie
s’en fasse pour les cinq grammes d’héro qu’un des type de la bande lui
doit : le RSA tombera comme d’hab’ le 6.
La conversation se met à tourner
autour du plus jeune de la bande
Les autres le chahutent en lui
disant qu’il est amoureux de son assistante sociale.
L’autre devient furibard,
rassemble ses affaires et se tire en traînant derrière lui un chien bâtard
borgne. Bref concert de saluts canins entre congénères.
Le grand type maigre de la bande,
auquel rien ne semble échappé du moindre mouvement de la rue, avertit :
« Condés ! ».
C’est qu’à cette heure
déterminante de la survie économique, il s’agit d’assurer l’absolue liberté de
consommer en toute quiétude.
Alors, les flics font beaucoup de
rondes.
Des rondes à pied
Des rondes en voiture
Au ralenti
Des rondes qui tournent rond.
Des rondes de surnuméraires
Parce que les flics sont des
surnuméraires
Leurs globes oculaires essaient
de choper la moindre apparence suspecte
La plus infime déviance.
A force d’ausculter les individus
avec leurs globes oculaires déformés,
Leurs yeux en jailliront et dans
un tardif élan de bon sens, il se diront :
« Oui, nous étions des
surnuméraires et nous en voilà très justement châtiés ».
Pendant les rondes, il est
parfaitement inutile de leur demander s’ils sont en
Opération de police
administrative ou en opération de police judiciaire.
Ce qui compte en premier, c’est
la trouille de l’uniforme et de la casquette.
La question de la qualification
de la nature de l’opération, c’est pas pressé :
Ils verront ça au moment de
rédiger le rapport de la ronde.
Les zonards enfouissent leurs
canettes dans leurs poches ou leurs sacs à dos millénaires.
Ils font mine de ne pas avoir vus
les flics
Et les flics, avec leurs globes
oculaires tout déformés, signifient qu’eux, par-contre
Les tiennent au contraire très à
l’œil.
La galerie commerciale est
demeurée une fourmilière toute grouillante de désirs
Assouvis, déçus, détournés,
frustrés.
Il y en a presque pour tous les
budgets.
Pour toutes les classes d’âge.
I Phone dernier modèle avec
chiottes intégrées
Les acquéreurs pourront se
torcher avec le coup de cœur de la semaine de la grande surface des livres du
second étage.
De la chocolaterie, des vêtements,
de la bureautique, de la décoration d’intérieur.
Des marches du magasin d’articles
de sport où je suis assis, on distingue bien
Le néon orange du parking
souterrain : il affiche complet.
Les mêmes voitures propres et
brillantes y entrent, en ressortent.
Et y re-rentrent. Les
consommateurs aussi s’adonnent à des rondes.
La galerie commerciale de cette
ville moyenne est absolument identique à d’autres galeries commerciales dans
d’autres villes moyennes identiques.
Pour tenter de se distinguer un
peu, celle-ci met en avant un riche patrimoine historique, vanté par des
affiches et des panneaux un peu absurdes.
La fameuse église romane, modèle
du genre en Europe, est pourtant quasiment vide.
Seulement quelques âmes accablées
recroquevillées crucifiées sur elles-mêmes.
Et elles, elles se rendent bien
compte que derrière la Grande Vitrine ,
il n’y a Rien.
Et que ce Rien, il n’est pas
rien.
Parce qu’il est tout gonflé de
leurs espérances.
Les yeux se sont tournés vers le
Père, le Fils, la Mère
et tous les Saints.
La pierre en est toute polie de
tous ces yeux douloureux exacerbés implorants.
Aucun Signe n’est venu.
A un moment, il y a seulement eu
l’organiste suppléant qui a fait plein d’accrocs dans sa Toccata.
beau...
RépondreSupprimerMerci beaucoup
SupprimerMerci pour ce moment de lecture.
RépondreSupprimerGrand merci à vous.
SupprimerBelle balade décrite au scalpel
RépondreSupprimerMerci !
SupprimerBelle lucidité comme toujours
RépondreSupprimerMerci bien Bell Zébute !
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