mercredi 20 mars 2013

Dans les cales du monde social. Acte Unique et sans terme. Scène 2


Un chômeur pris dans la toile des dispositifs d'insertion. 


Circulation circulaire d'un contrôle social




Mr. V., âgé de 35 ans, est « bien connu des services sociaux ». Il est allocataire du RMI depuis 2002 et a été régulièrement l'objet d'un suivi médical et psychologique. Il a connu et connaît encore actuellement des ennuis avec la justice. Qualifié d' "impulsif" par son accompagnante socio-professionnelle, il doit effectuer un suivi SPIP (Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation) de 18 mois, assorti d'une obligation de soins et de l'effectuation d'un TIG. Selon lui, « ils m'ont fait casquer le max', ils ont pas été de main morte, juste parce que j'ai mis une claque à quelqu'un. Il m'avait insulté, aussi ! ». Mr. V mène une vie maritale longtemps mouvementée et à deux petites filles qui vont à l'école maternelle. Originaire du Nord, arrivé dans ce département rural après un divorce en 2003, il est titulaire d'un CAP Construction Mécanique et Béton armé. Le dernier emploi qu'il a occupé est un contrat aidé sur un chantier d'insertion en qualité d'ouvrier des espaces verts et de la voirie, qui n'a pas été renouvelé suite à des difficultés relationnelles avec une collègue. Son CV fait principalement mention d'emplois d'ouvrier-maçon ou d'ouvrier de conditionnement dans l'industrie alimentaire, le plus souvent en qualité d'intérimaire. Il touche 517 euros d'Assedic et 190 euros de RSA.

Il arrive au rendez-vous de suivi socio-professionnel  préoccupé par son nouvel abonnement d'opérateur téléphonique et de FAI, qui lui a ponctionné avec un mois d'avance 180 euros pour « changement et installation de matériel ». Ayant en outre dû régler son assurance voiture, cela l'a poussé à faire une demande d'aide d'urgence à son assistante sociale. Il a obtenu 80 euros. Il se plaint de la « sacrée baisse » de son RSA. « De toute façon, même les AS elles savent pas comment ils font pour calculer et la CAF, ils disent pas. C'est tant et terminé ! ». Son accompagnante en convient également : « oui, moi je m'avance pas avec les gens que j'ai en suivi ». Il en vient vite à exprimer son ressentiment à l'égard de son assistante sociale : « elle est tout le temps en vacances. J'ai mis une semaine à avoir un RDV. Après seulement elle fait une aide, et souvent c'est une aide juste pour avoir des colis (alimentaires) mais aller à B., je fais comment ? Si je viens c'est pour avoir une aide financière, mettre de l'essence, c'est pas pour aller à B., déjà je roule en réserve ! Elle me dit ben oui, je sais pas comment faire (ton railleur)... Moi je vais demander pour changer d'assistante sociale, avec ses remplaçants, ça va plus vite, elle on dirait qu'elle fait tout en retard à chaque coup ».
Après un dernier tour d'horizon des difficultés financières de Mr. V., le rendez-vous de suivi débute réellement quant l'accompagnante demande au jeune homme s'il a relancé les agences d'intérim. Celui-ci répond par la négative car il ne se voit accepter une mission alors qu'il n'a pas assez d'essence pour l'honorer. L'accompagnante fait valoir que s'il produit un contrat de travail, il sera alors possible de l'aider pour ses frais de mobilité, mais qu'effectivement, l'aide est peut-être bloquée du fait de l'usage fréquent qu'en fait Mr. V.. La professionnelle a tirée une offre d'emploi dans le domaine agro-alimentaire, pour un poste d'agent de fabrication polyvalent sur quatre mois, pour 39 heures par semaine en 2/8 ou 2/9. En voyant le nom de l'employeur sur l'annonce, Mr. V. s'exclame et la refuse catégoriquement : « je retourne plus chez eux, ça c'est mal passé. J'étais en intérim avec Addeco. En fait au début, on m'a mis à une place et en fait on m'a fait tourné et puis comment qu'on m'a prit comme un moins que rien. Après, j'étais au déchargement (des camions) et normalement on est par deux, et en fait, je me retrouvais à chaque coup tout seul... ça se permet de gueuler sur moi, et mais après j'ai vu. Les embauchés (les permanents), ils étaient à deux sur le quai, alors moi, comment que ça se fait que je vais être tout seul ? Après, j'ai été aux canards, en découpe et après, j'ai arrêté. Je préfère retourner dans le bâtiment ». La professionnelle lui propose alors un poste de maçon en rénovation, avec une expérience exigée d'un an mais il s'agit en fait d'un poste d'encadrant d'un chantier de jeunes. Si « l'enduit et la fabrication de mortier » ne pose pas de problème, l'accompagnante « (le) sent trop impulsif pour encadrer un groupe (sourire)». « Je préfère moi être commandé plutôt que... moi. Si ça se passe mal ou quoi... ». La conversation tourne alors autour d'une sorte de dépôt de meubles que Mr. V. a repéré près de chez lui, mais sur lequel « il n'y a rien, pas de nom, pas de numéro, pas de boîtes aux lettres » et qui faisait l'objet d'une offre de travail pour « accompagner les livraisons et le montage de meubles ». L’accompagnante conseille à son suivi « d'aller se balader autour » pour voir de quelle sorte d'enseigne il s'agit, ce que Mr. V a déjà fait, sans résultat.
« Dans le secteur, c'est tout ce que j'ai qui peut correspondre... ou alors on cherche un maçon, on fait une EMT pour voir ce que vous savez faire en maçonnerie. Qu'est ce que vous en pensez ? ». « Ça me dérange pas mais faudra que je lui explique parce que j'ai RDV (avec le SPIP) bientôt, ils ont rouvert mon dossier pour que j'effectue quand mêrme le TIG, au centre de tri à V. ». Surprise, la professionnelle pensait que le jeune homme avait déjà effectué son TIG. Il s'agit d'un autre TIG pour « bagarre » de 105 heures, lequel à « traîné » car le « dossier est resté en attente parce qu'ils ont fait n'importe quoi». Selon Mr. V. ce TIG au centre de tri pourrait par la suite se transformer en avantage « car ils cherchent souvent du monde ». Mr. V évoque son ressentiment envers la sévérité de la sanction (TIG, suivi de 18 mois, obligation de soins, le port du bracelet électronique lui a été refusé) et contre le SPIP qui selon lui « bloque complètement la situation, je veux me débarrasser de tout ça ». « Ils m'ont fait casquer le max', ils ont pas été de main morte, juste parce que j'ai mis une claque à quelqu'un. « Mais Mr. V. on met pas des claques, comme ça, aux gens... ». « Il m'avait insulté, aussi ! ». Le jeune homme montre encore son impatience vis-à-vis de son TIG qui ne se fait pas et que de toute façon, il est hors de question pour lui d'encore y différer, « parce que là, je suis bloqué »et finit par souffler qu'il veut partir du département quand la situation sera « remontée ». La professionnelle ne cache pas sa désapprobation : « pour le suivi avec le SPIP, c'est vous qui décidez ça... mais vous allez pas encore déménager ! Vous voulez retourner dans le Nord ? ». Le jeune homme acquiesce. La réponse de l'accompagnante ne se fait pas attendre : « là, vous êtes quand même instable (fait référence aux multiples déménagements du couple dans le département) et là, vous voulez repartir dans le Nord ! Va falloir savoir». « c'est vrai que d'être venu là, y a la qualité de vie, mais c'est loin de tout, y pas de travail, y a rien ». « Oui, y a rien, c'est le désert ». Vous êtes venu c'était pour votre loyer qui... ». Mr. V. évoque un défaut d'isolation et « les voisins au-dessus, tous les jours c'était le bordel ». « Peut-être aurait-il fallu envisager de rester, autre part, mais de rester sur B. ». « À chaque fois, l'Opac, ils me proposent que des trucs pourris ! Les nouveaux appartements, c'est mal isolé, j'ai des factures phénoménales (ton appuyé) ! C'est du double-vitrage, y a des prises d'air partout ! Là, c'est ma dernière année, j'attends de faire mon TIG... et après je vais dans les trucs privés. (Il évoque encore le plancher de mauvaise qualité les bruits de pas, les chaises qui traînent). Ça devenait impossible ! ». L'accompagnante met un terme à la litanie : « on est dans l'impasse en attendant des nouvelles du SPIP ». Le jeune homme évoque aussi la possibilité de déménager vers le chef lieu d'un département limitrophe. La professionnelle est dubitative : « On fait quoi ? Vous relancez les intérims et vous surveillez le dépôt, là ? Vous déposez un CV. Vous dîtes : voilà je cherche du travail, j'habite ici, je suis capable d'aider... à faire des déménagements, puisqu'ils ont eu besoin de quelqu'un ». Le jeune homme opine. C'est alors l'occasion pour le jeune homme homme d'évoquer les commérages provoquées par sa mauvaise réputation locale : « ici, c'est les petits villages, dès que vous êtes connus par les flics, après les gens ils vous font pas confiance... même à l'école, les petits, ils vous regardent tout bizarrement. « Ben c'est vous qui devez prouvez qu'on peut vous faire confiance Mr. V. ! Va falloir faire vos TIG, vous remettre sur le droit chemin et montrer que vous êtes capable. Physiquement et tout, vous êtes capables (ton d'évidence) ». « C'est pour ça, une fois que c'est fini, j'aimerai bien changé de région, comme ça (il siffle), personne me connaît et terminé ! ». Il poursuit sur le caractère refermé des locaux « oui mais c'est aussi à vous de pas réagir. y a des gens qui peuvent être incorrects mais on essaie de se calmer. Vous, vous êtes impulsif. Gentil, mais impulsif. Va falloir montrer que vous êtes capable, que vous êtes quelqu’un d'autre. C'est pas parce que vous avez fait des blagues ou des choses... » « Ben déjà je me suis calmé ». Il évoque encore la question de concilier le déménagement avec le suivi SPIP. Encore une fois, la professionnelle tente de raisonner le jeune homme sur la nécessité de bien réfléchir et s’enquiert des possibilités professionnelles de celui-ci une fois déménagé : « ben déjà, y a plus de grosses boîtes en travaux publics, y a des sacrées boîtes, c'est pas des petites missions ». La professionnelle convient bien qu'ici il n'y a rien qui correspond au profil du jeune homme, qui est également titulaire de deux Caces et Mr. V. en profite encore pour réaffirmer son goût dans les travaux publics : « c'est plus mon domaine, c'est pour ça que j'ai arrêté la maçonnerie, la maçonnerie générale (il souffle, ton las)... à chaque fois, il me reprenne comme un manœuvre... manœuvre (ton de dédain)... attends c'est bon ! ». « Oui vous avez un CAP, vous avez deux Caces. Quand Mr. V. était dans le Nord (…), il a fait de la maçonnerie, de l'entretien mécanique auto', il a travaillé comme ouvrier de conditionnement dans des entreprises d'ici, de manutention aussi beaucoup, en intérim, et son dernier emploi, c'était sur le chantier d'insertion d'une commune comme « ouvrier des espaces verts et de la voirie. Et là vous n'avez pas été renouvelé parce qu'il y a eu un problème avec quelqu'un du groupe ». Mr. V. préfère revenir sur son expérience professionnelle, qu'il estime importante, dans les travaux publics et le sentiment qu'il a d'y avoir été constamment sous-employé : « la maçonnerie, ça me gave, c'est rengaine, c'est ni plus ni moins comme à l'usine, puis à chaque fois, j'ai remarqué, même que j'ai (sur) mon CV, ils voient bien l'expérience (en travaux publics), mais ils prennent tout le temps comme un manœuvre... Une fois qu'ils ont plus besoin (il siffle), viré ! ». La professionnelle coupe aussitôt le jeune homme pour lui faire relativiser son expérience et ses propos : « je vous arrête. Je vous arrête. Vous avez de l'expérience en maçonnerie, mais elle pas si (importante)... Je serais employeur, je ferais pareil. Vous auriez dix ans comme maçon, là on vous met presque chef d'équipe. Là, votre expérience elle pas si énorme que ça (grognement du jeune homme). Il faut savoir repartir à zéro, montrer ses preuves, et si un employeur juge que vous vous débrouille, il peut vous mettre adjoint au chef d'équipe, ou responsable d'une équipe ». Le jeune homme se défend et s'en prend plus largement au comportement des patrons, qui profitent de la mauvaise conjoncture économique et encore accentuer le sentiment pour le jeune homme, structuré par de nombreuses expériences de travail intérimaire, de n'être qu'une simple variable d'ajustement, et voir niée sa véritable valeur professionnelle : « oui mais les employeurs, avec la crise, ils vont voir « manœuvre » (sur le CV), attends, j'ai fait deux ans en tant que manœuvre (il siffle) ! Quand en intérim, j'ai mis ma qualification, attends ! Ça marchait direct ». L'accompagnante insiste sur les besoins immédiats de main d'oeuvre en maçonnerie des entreprises. Le jeune homme fait valoir ses Caces, qu'il a fait l'effort de passer pour accéder aux métiers des travaux publics, et ne plus être cantonné dans des postes de manœuvre subalternes. L'accompagnante lui rétorque qu'également dans les travaux publics, il n'a que peu d'expériences. S'en est trop pour Mr. V., qui commence à s'agiter sur sa chaise et dont le débit de parole se fait plus rapide te plus vif : « dans les travaux publics ? ( il expire, ton outré) J'ai travaillé chez Europa, j'étais en CDI, c'est parce que j'ai divorcé que... Ben alors là, je ramène mes fiches de paie ! ». La professionnelle lui fait répéter le nom de l'employeur, il ne semble pas figurer sur le CV de Mr. V. qui lui enlève des mains à la fois pour vérifier et pour mettre en défaut son accompagnante : « ben y a marqué quoi là ? » . L'allocataire du RSA remarque alors que le nom de l'entreprise est mal orthographié et qu'il y était employé en tant qu ' « ouvrier », ce qui l'excède encore davantage. L'accompagnante corrige le CV et en profite pour en savoir plus sur le poste que le jeune a occupé : « ben c'est tout ce qu'est travaux publics... y en même un dans le coin, moi j'ai travaillé avec eux, ici ». L'information n'est pas non plus reportée sur le CV, le jeune homme tente de l'étayer sur la demande de l'accompagnante : « ben tout ce qui est voirie, bordures, tout ça. Ben tout ça, c'est quoi ? C'est du travaux publics, hein ». La professionnelle reporte l'information, qui n'avait visiblement pas été informée de cette dimension de l'expérience professionnelle de son suivi sur laquelle celui-ci revient encore : « et là aussi, Jean-Paul B... je vais pas faire un stock (débit vif et rapide) ! Si je vous ramène toutes mes fiches de paie, y en a un stock ! J'en fini pas si je fais un CV (référençant ses expériences successives dans les travaux publics) ! ». Pour combler le manque, et pour dissiper les derniers doutes sur la véracité des dires de son suivi, la professionnelle l'interrompt et lui fait détailler ses employeurs successifs en travaux publics : ben Jean-Paul B, c'est du TP, PLY, Thierry Béton aussi (ton d'énumération)... c'est parce qu'en fait ils se sont tous rachetés... ben alors là, j'en finis plus, c'est plus un CV, c'est au moins quatre feuilles comme ça, si je devais citer tous les noms d'entreprises. « Bon, je le met, parce que si vous postulez dans du TP, il faut qu'il y est quelque chose qui en atteste ». Tout l'écart dans la conception d'une recherche d'emploi légitime que se font les protagoniste se condense dans les propos du jeune homme : « ben ils le savent de toute façon ». Pour les professionnels de l'emploi, la mise en écrit formelle et impersonnelle des tâches effectuées et des compétences mises en œuvre semble indispensable afin d'optimiser les chances de recrutement du jeune homme. Pour celui-ci, le travail semble s'obtenir par inter-connaissances et par la maîtrise purement pratique du métier, directement observable par le patron, de même que l'endurance physique, qui prime sur la dénomination de l'emploi. « Je sais qu'il faudra recommencer en bas de l'échelle, mais ça, ils me prennent deux semaines à l'essai, après ils vont me mettre direct ma qualification, parce que le mec il sait comment je bosse après ». Ils font un rapide tour géographique des entreprises de travaux publics et conviennent qu'il faudrait en effet faire une quarantaine de kilomètres. Mr. V. évoque encore une fois les frais d'essence. «  On pourra vous aider au départ, mais après il faudra puiser sur le salaire. On peut pas tout avoir ! Si vous le voulez vraiment... ». Pour le jeune homme les choses sont simples : « oui mais attendez, si je me fais, on va dire le Smig, à peu près 1000 euros nets, parce que si je mets 300 euros d'essence... si je mets 80 euros, je fais à peine 400 km (la professionnelle tente d'intervenir, il poursuit)... parce qu'après les gens y disent : « oui, mais vous travaillez monsieur (ton plaintif) », mais moi, après, je repaie tout plein-pot ! Mon loyer tout ça... Parce que là, je suis aux Assedic... mais après je diminue mais après, je vis comment ? De rien, en fait. C'est vrai, les gens y voient pas. Mais moi, j'essaye de voir ça. Soit au plus près. Même quand je travaillais à la commune, je voyais, je calculais. Je gagnais pas lourd en fait, vraiment pas lourd (…), genre 700, moins le gazoil, tout ça... ». La professionnelle lui rappelle qu'il « faut savoir faire des concessions », « qu'il y a plein de gens qui se déplacent sur des kilomètres pour aller travailler à l'heure actuelle. Vous êtes dans une petite commune et y a rien. C'est pas l'idéal ». Après lui avoir rappelé que c'est le couple qui est venu ici, se repose la question de l'échéance de son RDV avec le SPIP et l'effectuation des TIG, le jeune homme s'emporte en élevant la voix : « une fois que j'ai fini les TIG, vous allez voir, moi (se tapant la poitrine), moi je vais faire voir comment que moi je cherche du boulot. Parce qu'en fait, je suis pas un fainéant ! ». L'accompagnante s'en défend, Mr V. poursuit et fait démonstration de son efficacité : « c'est eux (appuyé) qui me bloquent, la justice, c'est tout... après je me tire (il siffle). Un appartement, je vais trouver vite fait, et du boulot (tape sur la table), pour aller chercher et tout... Ce qu'il y a, moi (ton heurté), j'aime pas les trucs de réinsertion (élève la voix pour faire taire son interlocutrice), ou... comme les planches-là (évoque une entreprise d'insertion)... J'ai été pris comme un chien... Vous vous rappelez comment j'ai été vite ? J'ai été postulé, direct j'ai été pris ». C'est à présent pour Mr. V. l'occasion de dire son ressentiment contre l'un des collègues et par là de donner à voir que l'espace du travail d'insertion est aussi un espace conflictuel de concurrence entre les salariés. « Alors là, je tombe sur un italien, il pouvait pas me saquer dés le départ, parce qu'il a vu que moi, je savais faire mon boulot, mais fallait pas (balbutie)... un ouvrier comme moi, qui a commencé en même temps que moi, qui me juge (ton de colère), en plus il me pique dans mes trucs pour dire que moi j'en faisais moins ? (…) J'avais une semaine à l'essai, j'ai fini correct (...) même ça se passait super bien là, au truc de réinsertion (évoque le chantier d'insertion où il était « ouvrier des espaces verts et de la voirie », contrat non renouvelé), on m'a claqué quoi ? Une gonzesse qu'a voulu faire sa chef, dire çi et ça alors que j'avais deux témoins qu'elle m'avait fait des menaces de mort... moi, j'ai eu deux jours de mise à pied, parce que moi, soi-disant, je l'insultais... et après les témoins, ils ont pas voulu (témoigner)... bon alors j'ai dit (se frotte les mains) : « OK, ça marche comme ça ? Je renouvelle rien du tout avec vous, terminé ! » Ils ont pas été mécontents à la mairie ». Le jeune homme en profite pour réaffirmer ses compétences en travaux publics, combien il a donné de sa personne pour être payé de désillusion en retour: « vous pouvez même vous renseigner, j'étais sensé faire que de l'espace vert mais dès qu'y avait du TP, on me prenait tout le temps moi (…) à décharger des camions, tout seul... il crevait de chaud, à la pelle ! Pour reboucher les nids de poule... ils pouvait prendre un vieux (un employé communal), pas le même salaire, ah vas-y tu bosses ? Et ben on va faire ça, faire ça, faire ça... À un moment y en a un qui partait en retraite, « peut-être après ce sera bon , si tu veux passer tes Caces et tout », pour appuyer... Pour finir en fait, comment j'ai été pris pour un con ! ». La professionnelle tente de reprendre l'initiative de l'entretien mais se trouve dépourvue, Mr. V. explique que le responsable de la structure a tenter de le persuader de revenir après sa mise à pied : « c'est fini, je lui ai dit, pourquoi vous m'appelez ? Je veux plus avoir de contact avec eux». La professionnelle, décontenancée, tente de revenir sur l'idée d'effectuer un stage non-rémunéré d'une semaine ou deux dans les travaux publics, pour Mr. V. plutôt « retourner manœuvre que de leur donner du travail gratuit. Après ils font une évaluation, et puis rien...». Elle insiste encore sur le fait que le stage « permet de voir si le domaine convient bien, que ça sert à ça, et de montrer vos compétences à l'employeur». Mr. V. réaffirme son goût pour les travaux publics, ce à quoi l'accompagnante répond en élevant la voix : « ben moi aussi, il y a des choses que j'aime bien, mais je serais peut-être pas capable de les faire sous prétexte que j'aime juste bien » et dit, pour clôre l'entretien, qu'elle va contacter le responsable du SPIP. Le jeune homme éclate, indifférent aux appels au calme de son interlocutrice: « c'est eux qui me bloque, moi j'ai plus envie de rester ici. Y a pas de boulot ici, y a rien ! ».
« Ne vous énervez pas. Vous pouvez me parler sans vous énerver ».
« Non mais on dirait comme si je fais rien ! »
« Non, j'ai pas dit que vous faisiez rien ! »
« Hé, l'assistante sociale, je lui demande une aide, j'ai eu 80 euros... J'ai même plus une thune, je fais comment moi ? C'est de sa faute aussi ». Il évoque alors l'interdiction bancaire dont il fait l'objet. « On se revoit la semaine prochaine, j'appelle votre référent SPIP, pour savoir si vous rentrez sur vos TIG, pour qu'on puisse au niveau de la recherche d'emploi ». Réaliste, Mr V. ne veut pas être confronté à un employeur avant d'avoir effectuer les TIG, même si cela ne l'empêche en rien de travailler en même temps : « il me dit des jours par-ci, par-là ! Il croit que je vais dire à une entreprise attendez, je travaille tel jour, et après tel jour parce que là, je dois aller faire mon TIG. Et si je me fais embaucher ? Un employeur, il sait tout le passé. Ils aiment pas ça ». La professionnelle se range clairement à son avis, laisse à Mr. V. l'occasion de dire encore combien sa situation financière est précaire et conclut sur la nécessité d'éclaircir la situation avec le SPIP. « Mais après on se calme, on a plus de TIG, jamais (…), on trouve du travail et on se relance dans une vie... comme tout le monde » modère la professionnelle. L'allocataire confie encore son peu d'attrait pour le département et pour la commune en particulier. Des problèmes se posent au jeune homme jusqu'à l'école élémentaire fréquentée par ses filles : « je suis catalogué, parce qu'y a beaucoup (d'enfants) de gendarmes et tout dans l'école, alors ils disent de nous « attention, faut faire gaffe avec ces gens-là ». Et c'est venu aux oreilles de ma fille, elle me dit : « hé papa ? T'as fait beaucoup de bêtises avec les gendarmes ? Alors l'autre elle veut pas jouer avec moi parce que son papa il est de la police et il lui a dit : « faut pas trop jouer avec eux, ils sont bizarres comme gens. L'urgence est donc de régler la question la question du terme de l'effectuation des TIG. Mr. V. redit son souci « après ça fait mal, hein, pour un employeur... ». Son accompagnante l'approuve fortement une nouvelle fois, et "verra" avec le SPIP. Un autre rendez-vous est pris pour la semaine suivante.


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