vendredi 18 décembre 2020

De biais comme de front

 

"... je me dirai un corps, un corps qui bouge, en avant, en arrière, et qui monte et qui descend, selon les nécessités."

Beckett, Textes pour rien III, 1950 (chez Minuit en 1958).





Sphère lourde de chagrin qui craint d'éclater

Contre les angles acérés d’événements déplaisants

Et qui frôle ce vétuste plancher

Sous lequel des morts déjà 

De partout silex abrupts se dévoilant

L'abdomen n'est plus que nœuds

Angoisse familière

Les tempes dans l'étau

Écueils non-signalés

S'y empaler d'abord en pensées

Parce que cela ne va pas manquer

Ça bat craque s'agglomère se dissout

Se défait monte démonte et retombe

Ombres d'encre filiformes

Larynx écrasé

Maintiennent plaquée la face

Contre sol en béton brut lisse glacé d'un passé à biffer

Tessons dans l'estomac

Angoisse vieille comparse

Je discerne quand

De biais comme de front

À ta guise pourtant

Tu sonnes la charge

lundi 14 décembre 2020

Une jeunesse coincée entre école et travail


"Du self pas cher au bonnet rémunérateur" 

ou l'intégration juvénile en lambeaux

Il s'agit ici d'examiner comment certains conseillers d'une mission locale, et parmi eux spécifiquement plutôt les jeunes de sexe masculin, recourent à des techniques spécifiques lors des entretiens, visant, par des retournements successifs, à faire accepter aux jeunes, des stages ou des formations parfois très éloignées de ce que ceux-ci sont venus chercher. Ces conseillers tentent souvent de les faire entrer dans des dispositifs dont, la plupart du temps, les jeunes ignorent tout. Il faut dire que la compréhension de ces dispositifs nécessite, ne serait-ce que pour les conseillers, la maîtrise d'un vocabulaire technique en perpétuelle mutation, qui par ailleurs est systématiquement évoqué par ces derniers comme un coût d'entrée particulièrement élevé dans le métier. Ce vocabulaire spécifique opère, dans le même temps, une mise à distance des jeunes vis à vis du dispositif et entraîne une forte remise d'eux-mêmes aux conseillers. En effet, lors de l'entretien, l'utilisation de ce vocabulaire par le professionnel tend à créer la confusion dans l'esprit du jeune, qui rapidement perd pied. Alors que le jeune semble profondément désarmé, le conseiller le rassure généralement dans un second temps, en laissant par exemple entendre que le dispositif qu'il lui présente ne recouvre en réalité que deux choses simples, répondant à coups sûr à sa situation : la possibilité de faire des stages et la potentielle attribution d'une allocation.

Telle la situation que nous avons observée lors de l'entretien d'accueil de Damien, 22 ans. Après un bac STG, ce dernier échoue en première année de son BTS informatique. Il s'inscrit alors en fac d'histoire, qu'il délaisse rapidement pour faire quelques petits boulots. Intéressé par une formation en informatique, il se rend directement à l'AFPA, qui lui recommande de s'inscrire à l'"Espace-jeunes", avant de pouvoir prétendre à l'une de ses formations. Il y est reçu par Stéphane. Ce dernier parle vite, d'une voix forte et fait d'amples mouvements avec ses bras. En présentant d'emblée les missions et l'activité de l'institution, il signifie au jeune homme qu'il n'est qu'un « client » parmi les autres. Le conseiller repère les difficultés qu'a éprouvé Damien lors de son passage à la fac d'histoire, et joue de sa propre connaissance de l'environnement universitaire pour montrer sa proximité avec le jeune homme et, ainsi, lui confirmer qu'il a fait le bon choix en se tournant vers l'AFPA :

Stéphane : et effectivement la comparaison est juste... en fait, tu es passé de « je suis en cours » (en BTS informatique) à «je suis en vacances » (en fac d'histoire)(sourire) (…) Faut que la formation soit carrée. Alors, ce sera le cas avec l'AFPA,


Une fois cette proximité établie, le conseiller, face à la volonté affichée par le jeune de s'orienter vers l'informatique, infléchit alors le choix du jeune homme